Exil impossible

mercredi 1er avril 2009

Auteur : Diane Afoumado

Titre : Exil impossible : L’errance des Juifs du paquebot « Saint-Louis » (préface de Serge Klarsfeld) Paris, L’Harmattan, collection Racisme et eugénisme, 2005, 23 €, 284 pages, annexe documentaire (liste des passagers, sources, chronologie, carte)

Diane Afoumado, historienne et documentaliste au Mémorial de la Shoah, a enseigné à l’université Paris X -Nanterre et participé aux travaux de la commission Mattéoli sur la spoliation des biens juif et publié avec Serge Klarsfeld « La spoliation des camps de province » (La Documentation Française, 2000). Elle évoque ici, après des mois de recherches, une page assez méconnue de la Shoah. Des navires transportant les Juifs, seul l’Exodus est véritablement célèbre. Mais c’était après la guerre.
On sait aujourd’hui que certains Juifs avaient tenté de trouver refuge hors d’Europe, devant la montée des périls en Allemagne et en Autriche. Un départ sur des navires qui n’arrivèrent jamais à bon port : le Saint-Louis n’était que l’un d’entre eux. Il y eut aussi le Struma, qui, torpillé par erreur a coulé face à Istanbul avec 769 passagers, le Cairo, l’Usaramo, le Monte Olivia, l’Orbita, l’Orduna, l’Orinoco ou encore le Flandre.
Le 17 juin 1939, plus de neuf cents passagers juifs qui avaient embarqué un mois plus tôt à Hambourg, dans l’espoir d’aller sur le continent américain débarquaient à Anvers du paquebot Saint-Louis appartenant à la compagnie Hapag. Que s’était-il passé durant ces quelques semaines ? Diane Afoumado, après avoir consulté de nombreux fonds d’archives allemandes et américaines et lu de très nombreux journaux d’époque, avait tiré de ses recherches deux articles, l’un consacré à « la mémoire du Saint-Louis », l’autre évoquant « Les vaisseaux fantômes à la veille de la Seconde Guerre Mondiale ». Le présent ouvrage est une étude très approfondie du périple de ces Juifs réfugiés. La première partie étudie le contexte du départ, conséquence de la politique antisémite du Troisième Reich. La deuxième partie évoque l’arrivée à Cuba, où les passagers ne pourront débarquer. Les Etats-Unis font l’objet de la troisième partie. Les passagers trouvèrent finalement refuge en Belgique, en France, aux Pays-Bas et en Angleterre, objet de la dernière partie.
Quelques mois avant le déclenchement du conflit, des dizaines de navires errent sur les mers du globe, transportant des réfugiés juifs en quête d’un asile leur permettant d’échapper aux persécutions. Le Saint-Louis tente alors d’arriver à Cuba avant deux autres navires également chargés de réfugiés juifs. Cette île des Caraïbes et d’autres pays d’Amérique latine (Argentine, Brésil) avait accueilli des Juifs venant d’Europe de l’est vers la fin du XIXè siècle et après la Première Guerre Mondiale. Les premiers viennent de Russie, les seconds descendants de judéo-espagnols expulsés d’Espagne au XV è siècle, de Turquie. L’assimilation est rapide à Cuba et la communauté peut compter sur les organisations juives américaines. En 1938, près de 3000 Juifs allemands et autrichiens s’y réfugient, provoquant un raidissement des autorités locales, inquiète de cette immigration massive. A partir de 1939, un décret a pour objectif de trier les immigrants, mais donne inévitablement lieu à des trafics impliquant des responsables cubains corrompus en particulier la famille Benitez. Un autre décret, le 937 doit mettre fin à ces dérives. Le Joint et la HICEM sont conscients des difficultés d’accueil d’une massive immigration juive en Amérique latine et la période est celle d’un imbroglio administratif. Le navire quitte finalement l’Europe et arrive à Cuba plus tôt que prévu. Le débarquement s’avère impossible, les passagers étant consignés sur le navire, alors que leur situation fait la une de la presse mondiale ; la presse cubaine monte la population contre le débarquement possible de ces nouveaux arrivants, utilisant les clichés de l’antisémitisme ! Certains journaux critiquent sévèrement l’inertie des organisations juives américaines ou s’en prennent à la compagnie maritime. En dépit de l’action de Lawrence Berenson (président de la Chambre de Commerce cubano-américaine à New York) et de Cécilia Razovsky, alors directrice du Migration Department of the National Refugee Service qui travaille aussi avec le Joint et de toutes les négociations échouent, tant avec Cuba qu’avec d’autres pays d’accueil potentiels. Seuls 29 passagers dont 22 en possession de visas, sont autorisés à débarquer à Cuba. Des Espagnols et des Cubains également. Mais 6 autres passagers descendent du navire au dernier moment, débarquent à La Havane et peuvent ensuite entrer aux Etats-Unis, car ils sont apparentés à la riche américaine Sadie Annenberg qui aide cette famille qu’elle ne connaît pas. Les Etats-Unis dont le peuplement s’est pourtant construit grâce à l’immigration, ferme impitoyablement ses portes aux réfugiés du Saint-Louis. Au cours des semaines qui suivent, toutes sortes de négociations sont menées entre autres par Morris C. Troper, directeur européen du Joint, qui se dépense sans compter pour tenter de trouver une terre d’asile pour les passagers. C’est le retour en Europe : la France, les Pays-Bas, la Belgique, le Royaume-Uni acceptent les réfugiés. Quelques mois plus tard, c’est la guerre. La fin du livre donne la liste de ces hommes, femmes et enfants ballottés d’un pays à l’autre : la dernière colonne du tableau donne la date de la déportation, puisqu’une partie de ceux qui avaient trouvé asile en Hollande, en Belgique et en France ont été arrêtés et envoyés à Auschwitz depuis Drancy ou Malines, à Sobibor depuis Westerbork entre 1942 et 1944. Morts dans l’indifférence, indifférence qui avait été celle des pays démocratiques qui n’avaient pas saisi l’importance de l’enjeu : sauver des Juifs menacés de mort n’avait pas été une priorité.
Christine Guimonnet