La mémoire de la Shoah dans le monde juif

mercredi 1er avril 2009

FRANÇOISE S. OUZAN ET DAN MICHMAN (sous la direction de) ,“De la mémoire de la Shoah dans le monde juif ”, CNRS Edition, ouvrage publié avec le soutien de la FMS, Paris, 2008, 500 pages, 39 E.
Les deux chercheurs qui ont dirigé cet ouvrage dans la collection « Melanges du Centre de recherche français de Jérusalem » sont, l’une, chercheure au Diaspora research Center de l’université de Tel-Aviv, elle a publié une très récente « Histoire des Américains juifs de la marge à l’influence ; l’autre, professeur à l’université de Bar Ilan et historien en chef à l’institut de recherche de la Shoah de Yad Vashem, auteur d’une monumentale historiographie de la Shoah en 2001. Ils s’appuyent sur des experts internationaux connus pour leurs travaux en ce domaine, historiens, sociologues et philosophes (Alain Finkielkraut, Annette Wieviorka, Ilya Altman, Julien Bauer, Emeric Deutsch, Anne Grynberg, Katy Hazan, Régis Schlagdenhauffen) pour n’en citer que quelques uns qui s’interrogent sur la transmission de la mémoire de la Shoah dans les différentes communautés juives dans le monde et s’attachent à étudier la place du discours du rescapé, et l’interprétation de la Shoah dans différentes cultures.
Les questions fondamentales posées sont :
Comment est conservée et transmise la mémoire du génocide dans les diverses communautés juives à travers le monde ?
Quel rôle tient la Shoah dans la recherche identitaire européenne ou israelienne ?
Comment est-elle interprétée dans la culture américaine ?
De quelle manière commémore-t-on le souvenir des camps au Canada, au Brésil, en Argentine, en Australie ?
Ce questionement couvre un large espace/temps, à travers les grandes étapes de la construction mémorielle de la Shoah. De l’après guerre à aujourd’hui en passant par la création de l’État d’Israël, le procès Eichmann, la série Holocauste, jusqu’aux pèlerinages d’Auschwitz, cette histoire reste toujours sensible et polémique.
Il est quasi impossible de rendre compte des acquis d’un ouvrage collectif aussi riche et aussi dense, aussi, vais-je me contenter d’en souligner quelques aspects parmi les plus neufs pour un public de francophones.
Régis Schlagdenhauffen, rattaché au centre Marc Bloch de Berlin, intitule sa contribution : « L’Exodus allemand : la reconstruction d’une identité juive en Allemagne après la Shoah ». Il tente de saisir en Allemagne, la situation ambiguë dans laquelle se trouvent les Juifs –aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est- qui ont choisi de vivre ou de rester vivre dans « le pays des coupables » et de retracer les processus à l’œuvre menant vers une normalisation des relations entre Juifs et Gentils.
A la fin de l’année 1945, 51 communautés juives existaient à nouveau en Allemagne, puis 16 autres en 1946. En 1950, le Zentralrat der Juden in Deuschland , représentation politique de la judaïcité allemande, est créé pour faire face aux difficultés de vie des Juifs. Il va avoir un rôle important dans le rapprochement de l’Allemagne avec Israel dans le cadre des réparations et dans l’acceptation d’une présence juive durable en Allemagne.
Mais qui sont au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ces Juifs d’Allemagne ?
Il y a les survivants qui ont vécu cachés ou sous une fausse identité, ceux n’ont pas été déportés car mariés à des « aryens » ou enfants de mariages mixtes. Il y a les DP ou personnes déplacées (76 000 en 1946 pour la « zone Ouest ». Et puis il y a les re-migrants qui ayant émigré dès 1933 sont revenus sur le sol natal pour trois raisons essentielles : des raisons politiques (antifascistes, et communistes décidés à rebatir un nouvel Etat surtout en Allemagne de l’Est) comme Anna Seghers, Hans Mayer, Ernst Bloch ; des raisons culturelles (attrait de la langue et de la culture germanique) ; des raisons économiques (attrait des compensations espérées).
Dans les années cinquante, malgré les pressions exercées par Israël et les organisations juives qui estimaient que plus aucun juif ne devait habiter ce pays, des Juifs persévèrent dans leur désir de rester en Allemagne. Il durent affronter une double difficulté : difficulté à s’assumer en tant qu’Allemand, et difficulté a faire accepter leur présence sur le sol Allemand par les autres allemands et par les autres juifs Il leur fallait rechercher un nouvel équilibre entre « victimes et bourreaux » C’est ce processus qui, après le refoulement (comme en France) de la mémoire de la Shoah de 1946 à 1961, est mis en œuvre à partir des années soixante, que ce chercheur démonte.
Dan Michman, reprenant les travaux de Diana Pinto sur ce qu’elle appelle l’identité juive du troisième partenaire, évoque l’émergence d’un « nouveau courant intellectuel dans le judaïsme européen » et d’une idéologie juive européenne qui dit-il, se développe souvent chez des auteurs éloignés des institutions juives (Pierre Vidal-Naquet, en France, Hanno Loewy en Allemagne, Georges Steiner en Grande Bretagne..). Il pose la question de sa capacité à contrebalancer les judaïsmes américain et israélien qui occupent jusqu’àlors une place centrale.
Ilya Altman, directeur du Centre d’étude de l’Holocauste Moscou, après une approche des particularités de la politique soviétique pendant l’occupation nazie (comment v-elle répondre par exemple à la propagande nazie évoquant le « judéo-bolchevisme ? »), se penche sur « La mémorialisation de la Shoah en Union Soviétique » et dans la Russie actuelle où émergent à nouveau des communautés juives.
On peut regretter l’absence d’unité de l’ensemble de l’ouvrage , mais c’est là l’envers d’un ouvrage collectif qui juxtapose des interventions. Plus grave est l’absence d’une bibliographie d’ensemble (chaque auteur citant les ouvrages consultés) et d’un index.
Renée Dray-Bensousan