DU CLOSEL, AMAURY, Les voix étouffées du IIIe Reich. Entartete Musik,

vendredi 17 août 2018

DU CLOSEL, AMAURY, Les voix étouffées du IIIe Reich. Entartete Musik, Paris, Actes Sud, Arles. 575 pages, janvier 2005.
L’auteur :
Chef d’orchestre et compositeur, Amaury du Closel est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et détenteur d’un DEA de philosophie du droit. Il mène depuis plus de vingt ans une carrière en France et à l’étranger. Directeur de la compagnie lyrique Opéra nomade, chef permanent de la Philharmonie de Tirgu-Mures (Roumanie) et chef invité permanent des orchestres de la Radio roumaine, il se consacre en grande partie au répertoire des " voix étouffées ". Amaury du Closel a fondé en 2002 le Forum Voix étouffées, dont la vocation est de faire découvrir les compositeurs évoqués dans ce livre au public, et aux musiciens qui en seront un jour les interprètes.
L’ouvrage
Dès leur arrivée au pouvoir, les dirigeants nazis entreprennent une éradication de " l’art dégénéré " (Entartete Kunst), fondée sur une normalité créatrice visant à rejeter toute avant-garde au nom de la pureté de la race aryenne. La notion même de "musique dégénérée" (Entartete Musik), objet d’une exposition qui se tient en mai 1938 à Düsseldorf, ne fait pourtant que démontrer la diversité des styles concernés et le caractère éminemment racial et politique des critères retenus. C’est ainsi que de très nombreux compositeurs et interprètes, taxés de judaïsme, de dégénérescence ou de bolchevisme, ont perdu, et ce dès 1933, tout moyen d’expression et de subsistance. Premier du genre publié en français, cet ouvrage s’attache à replacer dans son contexte idéologique et institutionnel cette répression mise en œuvre par le IIIe Reich et qui s’étendra à tous les pays annexés ou occupés. Mais il décrit également les destins individuels de ces "voix étouffées" : de l’exil volontaire ou intérieur à la disparition dans les camps de concentration. Il dresse ainsi l’inventaire de plus de deux cents compositeurs, inconnus aujourd’hui pour la plupart, auteurs parfois d’innombrables chefs-d’œuvre condamnés à l’oubli, et qui constituent autant de clés pour la compréhension de l’histoire de la musique du XXe siècle.
Qui connaît encore les noms de ces compositeurs suivants : Hans Walter David, Paul Arma, Allan Gray, Matyas Seiber, Rosy Geiger-Kuhlmann, Erich Walter Sternberg ? Et pourtant ils avaient étudié avec Franz Schreker, Béla Bartók, Zoltán Kodály ou Arnold Schönberg, leurs premières œuvres avaient été créées par les plus grands chefs de l’époque, par Wilhelm Furtwängler, George Szell ou Carl Schuricht. Mais leurs voix ont été étouffées par les nazis – parce qu’ils étaient juifs ou d’origine juive, communistes ou bien parce que leur musique était considérée comme « dégénérée » (entartet). S’ils n’ont pas trouvé la mort dans un camp de concentration, ils ont dû fuir l’Allemagne d’Hitler. Loin de leur patrie, de leurs amis et mécènes, de leur public enfin, dans des pays qui, souvent, ne les accueillaient pas à bras ouverts, ils ont pu survivre à la guerre. Mais leur carrière, dans la plupart des cas, a été brisée.
C’est le grand mérite des « Voix étouffées » d’Amaury du Clozel de ne pas se limiter aux quelques cas plus ou moins connus – Erich Wolfgang Korngold, Arnold Schönberg, Kurt Weill – mais de nous dresser le portrait d’environ 200 compositeurs. Nous faisons ainsi la connaissance d’une génération extrêmement riche de compositeurs, constituant une clé pour la compréhension de l’histoire de la musique du XXe siècle, mais condamnée à l’oubli par la volonté d’un régime dictateur. Le plan en trois partie est clair. Dans une première partie, du Clozel présente l’arrière-fond théorique et idéologique qui mène au concept de la « musique dégénérée ». Une deuxième partie est consacrée à l’épuration du monde musical allemand après 1933, aux institutions et législations permettant à l’Allemagne nazie de se débarrasser de ces « éléments indésirables ».
La troisième partie – la plus longue – porte le titre de « destins ». L’auteur nous y décrit les conditions de vie des compositeurs exilés en France, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, en Union soviétique ou encore au Japon et en Amérique latine. Si les Etats-Unis se sont montrés plutôt accueillants, des pays tels que la France et l’Angleterre, peu favorables à l’immigration, ont tout fait pour rendre encore plus difficile la vie des compositeurs réfugiés. En 1939, nombre d’entre eux ont même été internés dans des camps, parce qu’ils étaient des ressortissants de l’Allemagne ennemie ! Un autre chapitre est consacré à l’une des situations les plus paradoxales de cette époque, à la vie musicale dans les camps de concentration. A Terezin notamment, des compositeurs tels queViktor Ulmmann, Hans Krasa, Pavel Haas ou Rudel Karel ont créé des œuvres que, cette fois, l’on donne encore aujourd’hui dans les maisons d’opéra et dans les salles de concerts.
Les voix étouffées du IIIe Reich d’Amaury du Clozel est une étude riche et détaillée Elle nous présente le sort des compositeurs sans sombrer dans une personnalisation exagérée, sans jamais négliger le contexte historique, institutionnel et idéologique. L’ouvrage est le premier du genre publié en français ; il est un ouvrage de référence.