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vendredi 31 mars 2017


LA SHOAH ET LA RENCONTRE DES CULTURES
L’an dernier nous avons inscrit notre réflexion dans la territorialité. Cette année notre démarche s’inscrit dans la recherche culturelle et humaine.
Le génocide est une forme d’affrontement entre deux cultures dont l’une est ultra dominatrice et vise au meurtre de la seconde. Toute une culture a disparu celle du Yiddisland . Tout un patrimoine également qui aujourd’hui en dehors des cimetières est à l’état de traces. À la fin du XIXe siècle, le yiddish était devenue la langue d’une grande partie des Juifs d’Europe. Il y avait, en 1930, huit millions de yiddishophones principalement en Europe centrale et orientale. Sur les six millions de Juifs assassinés, au moins 5,4 millions étaient des yiddishophones. Les lieux de la vie juive (écoles, théâtres, journaux, synagogues, centres culturels,...) ont eux aussi été détruits, ainsi que l’immense patrimoine littéraire de l’YIVO de Vilnius.
A priori a cause du barrage des langues toute rencontre culturelle dans les lieux d’internement ou de déportation parait impossible et pourtant....Tant bien que mal les hommes et les femmes ont communiqué utilisant comme support parfois des morceaux de leurs cultures. Tel ces femmes chantant dans leurs langues respectives sur des airs connus de leurs coreligionnaires ou de leurs concitoyens, des informations capitales pour leurs devenirs.
Une autre culture, lieu de rencontre entre plusieurs origines est née. Elle est née pendant la Shoah même si elle n’émerge que longtemps après. Evoquons les rencontres artistiques plus faciles car le barrage de la langue est alors aboli. On peut citer à minima, la musique et la peinture. Que ce soit dans les orchestres des camps ( à Auschwitz par ex) ou dans les œuvres des musiciens sur place (à Theresienstadt par ex), voire dans les témoignages de peintres, plusieurs cultures affrontent le mal qui lui même invente une nouvelle culture. Qu’en est il alors de leurs rencontres.
La question au centre de ces journées peut être simplement formulée en ces termes : les génocides sont-ils susceptibles de s’inscrire dans une géographie culturelle du monde tant au niveau des faits que de la mémoire ? Quel avenir cette inscription porte-t-elle ? Quel avenir pour nos cultures qui sont, qu’elles le veuillent ou pas des héritières, des survivances....
Le débat concernant les rapports entre Shoah et rencontre des cultures est encore neuf.
En amont force est de comprendre l’implantation des différentes cultures mises en jeu : nécessité, jeu du hasard et des moyens disponibles, aléas d’une politique raciale ? Cette implantation s’inscrit dans le temps long. Il sera difficile de ne pas évoquer tous les pans de la culture Yiddish éradiqués ensuite. Dans quelle mesure, déjà là, une rencontre n’est-elle pas à analyser à travers une histoire ou à travers des œuvres ?
En aval , la Shoah a donné naissance à une culture et a un patrimoine autres. Aucun des domaines traditionnels n’y a échappé : philosophie, littérature, journaux intimes, théâtre, cinéma, peinture...mais aussi nouvelle culture juridique avec l’introduction de jugements et de réparations .
Entre les deux, pendant la shoah, toute rencontre des cultures apparait impossible, ne serait-ce que parce que les langues des déportés étaient multiples. De plus les bourreaux avaient tout fait pour que l’extermination des Juifs soit cachée à la face du monde, comptant même sur son incrédulité devant l’énormité de la chose. Mais la voix des victimes s’est fait entendre à ,travers des témoignages commencés dès les premières années de persécution et dès la naissance des ghettos : cahiers, lettres, feuillets, journaux intimes écrits et conservés parfois dans des conditions extrêmes, dans des caves, greniers, cheminées, doubles cloisons...Conserver la mémoire d’événements défiant l’imagination devient alors un impératif aux yeux de beaucoup. Cet impératif se retrouve même au cœur des chambres à gaz : les Rouleaux d’Auschwitz, carnets manuscrits, enfouis près du crématoire III d’Auschwitz, ont été enterrés par les membres du Sonderkommando. Aucun de leurs auteurs n’a survécu, les équipes étant liquidées et remplacées à intervalles réguliers. Ils n’ont pas l’idée d’un récit ordonné des scènes atroces qu’ils décrivent. Ils cherchent juste à décrire l’horreur dans laquelle ils sont plongés. Tous les manuscrits retrouvés parlent de la terreur qui règne à Birkenau, du silence, de l’absence d’évasion, de ce monde à l’envers où le meurtre est devenu la norme.


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