Le dénouement tragique du juif caché par la...

vendredi 1er juillet 2016

Le dénouement tragique du juif caché par la mère d’Hugues Aufray

La maman d’Hugues Aufray, une âme de Juste

Peu de gens le savent, mais la mère d’Hugues Aufray a caché un jeune juif allemand pendant la guerre. Un geste désintéressé qui mériterait de désigner Mme Aufray comme Juste à titre posthume. Mais déporté à buchenwald, Helmut Wolf n’a pu, selon toute vraisemblance, échapper au joug nazi. Le chanteur, très marqué encore par ce terrible dénouement, nous remémore cette tragique histoire.

MB pour Lev Haïr : Dans quelles circonstances votre mère a-t-elle caché Helmut Wolf ?

Hugues Aufray : « Nous étions en 1943, j’avais 14 ans et la guerre nous avait contraint à nous réfugier à Sorèze, un petit village du Tarn, connu pour héberger la célèbre école dominicaine. Un jeune homme de 25 ans, qui cherchait du travail, s’est présenté à notre domicile, muni de papiers en règle. S’exprimant en parfait français avec un petit accent, il se faisait passer pour alsacien. Edmond Mercier était son nom d’emprunt. Ma mère l’avait compris mais l’avait engagé, malgré le risque encouru. Tout Français cachant un juif allemand pouvait se faire arrêter et fusillé par la Gestapo. Dans la famille, nous avons toujours appris à tendre la main. Helmut s’occupait de la cuisine ; il est resté une année chez nous.

Tout se passait bien jusqu’à ce qu’en juillet 1944, alors que la guerre était pratiquement finie, un détachement SS, en déplacement, s’arrête à Sorèze pour y établir des contrôles d’identité. Malgré les recommandations de ma mère, Helmut, qui avait besoin de lait pour faire la cuisine, tient tout de même à sortir. En vérifiant ses papiers, un jeune officier allemand, qui avait été avec lui à l’école hôtelière de Thonon les bains, le reconnaît. A sa pâleur subite, les Allemands qui l’accompagnent comprennent qu’il vit sous une fausse identité et lui parlent dans sa langue maternelle. Lorsqu’ils viennent le chercher à la maison, c’est moi qui ouvre la porte, l’officier pointe son pistolet sur mon ventre et demande à voir ma mère. Un mois avant, mes deux frères avaient fui en Espagne. Mon frère aîné s’était engagé dans la Résistance à Toulouse. Sachant qu’il était repéré par la Gestapo, il avait rejoint mon père remarié en Espagne pour rallier l’armée française en Algérie.

Les Allemands sont restés une dizaine de minutes avec ma mère et en partant, l’officier a caressé la tête de ma petite sœur Pascale en lui disant en français : « Votre mère est une femme merveilleuse ». Sans doute n’aurait-il pas arrêté Helmut s’il avait été tout seul mais il s’y est trouvé contraint par les circonstances.

MB pour Lev Haïr  : « Vous n’avez jamais su ce qu’Helmut était devenu » ?

Hugues Aufray : « J’avais rêvé qu’il reviendrait nous revoir et espérais que ce rêve soit prémonitoire. J’ai recherché sa trace, notamment aux Etats-Unis, et j’ai trouvé quatre personnes qui s’appelaient comme lui mais aucun ne correspondait. Une de mes cousines, qui effectuait des recherches à Paris, a trouvé plusieurs fois Helmut Wolf sur des plaques mémorielles. Une dame, dont le fiancé avait été prisonnier dans le même convoi qu’Helmut, m’a confié qu’il aurait pu se glisser dans une colonne d’alsaciens, à l’occasion d’un rassemblement et qu’à ce titre-là, il se serait peut-être sauvé. Mais s’il avait connu une issue heureuse, il aurait eu, je pense, la gentillsesse de nous le faire savoir. Puis j’ai fait aussi appel à Serge Klarsfeld, qui a trouvé sa trace dans le convoi 81 de Toulouse à Dachau. Mais aucune information n’a pu m’attester officiellement sur ce qu’il était devenu. Hélas les années passent et il n’y a désormais plus beaucoup de témoins ».

Magali B pour Lev Haïr : Cet événement vous a inspiré la chanson « Petit Simon »

Hugues Aufray : « Je resterai toujours marqué par cet événement tragique de ma vie, qui a fait de moi un homme. C’est ce qui m’a emmené, en 1968, à écrire « Petit Simon » en collaboration avec Buggy Vline, et Alex Alston pour la musique. Cette chanson ne concerne pas seulement l’histoire d’Helmut mais celle de tous les enfants qui ont péri pendant la Shoah. « Les étoiles ne sont pas toujours belles lorsqu’on les accroche sur le cœur ». J’ai eu le privilège de la chanter lors d’un événement organisé par la communauté juive, au Palais des congrès de Paris. Shimon Peres, présent à cette occasion, est venu me faire part de son émotion ».
Propos recueillis par Magali Barthès