Simone Veil "Les hommes aussi s’en souviennent.

jeudi 30 juin 2016



Simone Veil "Les hommes aussi s’en souviennent. Une loi pour l’histoire" Paris, Stock, 2004, 112 pages, chronologie, 12 euros


Simone Veil publie ce petit livre qui contient le discours du 26 novembre 1974 ainsi qu’un entretien avec Annick Cojean, journaliste au Monde. L’année 2004-2005, qui a permis la commémoration de deux moments fondamentaux de son existence, aura même été à plus d’un titre, « une année Simone Veil » . En mars dernier, au moment de la journée de la femme, France 5 avait diffusé un très beau film de David Teboul. Une heure d’émotion et de retours sur l’histoire, politique, mais aussi plus intime, entre souvenirs et moments passés avec la famille. Simone Veil avait également accordé quatre entretiens diffusés sur la chaîne Histoire. 2004-2005 : trentième anniversaire de la loi légalisant l’IVG, soixantième anniversaire de la libération des camps. Ce camp de Bergen-Belsen où avec sa sœur Milou, elle fut libérée par l’armée anglaise, leur mère venant de décéder du typhus. Après de longs mois passés en Pologne, à Birkenau (puis à Bobrek) où l’avait conduite le convoi 71 du 13 avril 1944. Pour tenter de ne plus faire d’elle que le numéro 78651. Ancienne déportée, victime de la barbarie nazie, mais toujours combattive, rebelle et obstinée.
Un sobre et émouvant reportage de Paris-Match la montrant retournant au camp accompagnée de ses deux fils et de ses petits-enfants, un entretien dans le numéro du Nouvel Observateur du 13/1/2005, un témoignage le 13/1/2005 dans l’émission de Frantz-Olivier Giesbert, « Culture et dépendances (consacrée aux camps de la mort) : autant de moments qu’elle saisit pour rappeler ce furent le destin des Juifs, l’extrême spécificité de la Shoah, cette éradication industrielle de générations entières et le douloureux retour des survivants dans un monde qui ne voulait ni les voir, ni les entendre…Attitude traduisant à la fois un manque de compassion et de lucidité historique. Elle ne perd jamais une occasion de fustiger la banalisation de la Shoah ou de rappeler que l’ancrage de la Shoah dans les mémoires se fit quelquefois très tardivement.


Etait-elle destinée à une carrière politique ? Rien à priori ne l’y prédisposait, sinon la transmission familiale de valeurs républicaines, civiques et morales de la part de parents tendrement aimés et trop tôt disparus. Adolescente, puis femme de conviction, elle est devenue femme de combats, femme de symboles. De « Lièvre agité », son totem chez les éclaireuses, elle est devenue porte-drapeau des combats féministes, de la construction européenne, militante de la parité. Elle est une des personnalités les plus populaires et les plus respectées : pourtant, jamais portée par le suffrage universel aux fonctions politiques françaises classiques, elle a occupé des postes très importants. Magistrat, elle travailla dans l’administration pénitentiaire (1957-1964) se préoccupant du sort des détenues, puis se pencha sur le droit de la famille à la Direction des affaires civiles. Deux fois ministre (1974-1976 puis 1993-1995), première Présidente du Parlement européen où elle siégea comme députée de 1979 à 1993, membre du Conseil Constitutionnel depuis 1998. Elle préside aujourd’hui la Fondation pour la mémoire de la Shoah.
Il y a trente ans, devant une Assemblée où les femmes étaient si rares, où beaucoup de députés étaient peu convaincus quand ils n’étaient pas hostiles, ou encore grossiers et injurieux, (quelques-uns ayant tenu des propos qui ne leur firent pas honneur), tandis que dehors d’autres l’insultaient, elle défendit courageusement un projet de loi portant réforme de la législation sur l’avortement. Une loi difficile à faire passer et pourtant nécessaire, dont elle raconte la genèse et les difficultés dans cet ouvrage comme elle l’a fait dans de nombreux articles et entretiens parus cet automne dans la presse féminine qui l’a sollicitée pour connaître également ses points de vue à propos de la situation des femmes qui a connu une grande évolution depuis trente ans. Le texte devait tenir compte des différents rapports de force existant à l‘Assemblée, ne pas aller trop loin pour ne pas s’aliéner des voix précieuses au moment du vote. On lui reprocha de ne pas avoir inclus dans le texte des avancées dont les femmes bénéficient aujourd’hui (remboursement par la Sécurité sociale par exemple). Le combat fut plus difficile devant les députés que devant les sénateurs. Cette loi permit de franchir un nouveau palier dans l’histoire de l’émancipation des femmes.
Il y eut en quelques décennies de nets progrès, même si des efforts demeurent encore à accomplir. Mais on ne peut s’empêcher de faire un constat inquiétant quand dans certains quartiers, d’autres femmes sont confrontées à une extraordinaire régression. Ce qui montre que les acquis doivent en permanences être défendus et que dans un même pays, les femmes sont encore loin d’être égales en droit. Dans le travail, où elles sont pour certains secteurs, moins bien payées, forcées parfois d’accepter des temps partiels rendant leur existence précaire. Au sein de la famille, avec la multiplication de familles mono-parentales, ce parent étant souvent une femme confrontée à de multiples difficultés. Mais aussi avec des maris, des compagnons qui ne prennent pas encore une part assez importante aux tâches domestiques. La double journée de travail des femmes existe encore ! La France est encore malgré tout un pays de tradition machiste où certains courants politiques heureusement minoritaires restent opposés à l’avortement (mais aussi à la contraception), au travail féminin, en considérant l’émancipation féminine comme la cause des divers désordres sociaux.
Simone Veil commente les acquis successifs (remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale, Ru 486, allongement de 10 à 12 semaines) et les considère comme des aménagements indispensables à la loi de 1974. Elle évoque aussi la portée de cette loi à l’étranger.
Il reste encore en 2004 des pays de l’Union Européenne où l’avortement est interdit ou très sévèrement réglementé. Aux Etats-Unis, l’arrêt Roe de la Cour Suprême pourrait être remis en cause avec la nomination de nouveaux juges conservateurs.


Le discours de Simone Veil prononcé devant les députés fut un texte fort, de conviction, à un moment où il n‘était plus possible de laisser des femmes dans la détresse. Un moment historique dans le long chemin vers l’émancipation. Qu’elle en soit ici remerciée. De ce combat on retiendra l’audace et le courage ! Ceux qui font encore profession de la détester sur des sites internet, usent d’un argumentaire parfaitement méprisable.
Puissent les jeunes femmes d’aujourd’hui être conscientes qu’elles bénéficient des combats menés par leurs aînées et défendre ces acquis.


Christine Guimonnet