La résistance des femmes

jeudi 2 avril 2009
par  Renée Dray-Bensousan

La résistance des femmes

Par Renée Dray- Bensousan (Extraits)

Qui sont-elles ? Ou plus exactement de qui parle-on : héroïnes ou femmes anonymes ? Un premier témoignage va dans un sens un peu hagiographique
« Madame, si l’armée française avait été composée de femmes et non d’hommes (nous) ne serions jamais arrivés à Paris. » C’est en ces termes que le procureur allemand s’adressa à Agnès Humbert au cours de son procès. Elle avait été arrêtée pour fait de résistance au printemps 1941 et condamnée à cinq ans de prison … » La mise en valeur d’un héroïsme au féminin, plus ou moins conscient, a longtemps caractérisé une bonne partie des études consacrées aux femmes ayant participé à la Résistance. Berthy Albrecht, Marie Madeleine Fourcade, Danielle Casanova étaient censées représenter la participation féminine à la Résistance dans son ensemble. Plus encore l’action des médias a pu supporter l’action d’une Lucie Aubrac. L’’historiographie communiste qui évoque le rôle des femmes au sein du mouvement national de la Résistance et fait de Danielle Casanova ou de Marie Claude Vaillant-Couturier, des personnages - phares de la Résistance, en les élevant au rang de Sainte laïque, utilise ce mythe pour s’assurer une certaine légitimité.
Dans Le Silence de la Mer de Vercors, c’est une femme qui incarne l’idée de Résistance. Si on se réfère à la vision de genre qui porte un regard sexué sur la catégorie même de Résistance, il y aurait là une thématique à explorer à partir du symbole de l’invasion du territoire comme
« viol ».
Mais peut-on s’arrêter là ?
Comme je l’ai rappelé en introduisant ce séminaire, les femmes n’ont pas été épargnées par les nazis mais l’ont-elles été plus que les hommes ?
- Elles furent des femmes souffrantes dans les camps
- Elles furent des mères souffrantes : femmes enceintes dans les camps, femmes résistantes craignant pour leurs enfants.
-Mais elles furent aussi des résistantes à tous les sens du terme, armes à la mains, agents de liaison, petites mains, dactylo de fortune crachant des tracts sur de vieilles ronéo, mais aussi impliquées dans le sauvetage, face cachée pendant longtemps de la résistance ou comme le dit Jacques Semelin « Résistance civile ». Le rôle des femmes dans la Résistance est aujourd’hui de plus en plus reconnu : au sein du Comité directeur du groupe du Musée de l’Homme, c’est une femme, Agnès Humbert, qui tapait les articles des " hommes ", elle n’en était pas moins leur égale dans le processus de prise de décision au sein de l’organe dirigeant.
Si, dans l’historiographie du mouvement Combat, Berthie Albrecht apparaît souvent comme la collaboratrice du " patron ", Henri Frenay, on comprend à lire un témoin de premier plan comme Claude Bourdet qu’elle fut aussi et surtout son mentor politique. Mais qu’en est-il des anonymes ?
Je vais essayer de borner mon propos à trois ou quatre questions qui me paraissent fondamentales.
Quelles images les femmes contemporaines des évènements nous renvoient-elles d’elles mêmes pour affirmer leur attitude face aux persécutions ? Images d’artistes : photographe d’abord, poètes, peintre enfin (même s’il est difficile de ne pas donner à voir leurs oeuvres. Mais aussi quelles images des femmes les filles et petites filles de ces résistantes véhiculent-elles, ou ont-elles permis de véhiculer à travers la conservation d’archives d’une part à travers des recherches d’autre part ? Ce sera l’objet de mon premier point.
Comment les femmes ont-elles assumé la banalité d’un vécu quotidien avant de manifester ouvertement dans la rue dans un contexte peu féministe ? Ce sera mon second point
Comment, enfin, les femmes ont-elles réagi dans les camps : la vie de tous les jours face à la déshumanisation et à la catégorisation ?

I Images de femmes par les femmes

Les Femmes n’ont-elles pas été en partie, cause de leur propre effacement ?
Des exemples d’artistes et d’écrivaines contemporaines de l’évènement, photographe, poètes et peintres vont nous aider à répondre. Il nous faudra ensuite voir les regards de leurs filles et petites filles.

I-1 Regard d’une femme engagée

Julia Pirotte est née en Pologne en 1907, dans une famille pauvre d’une petite ville juive près de Lublin, à 150 km de Varsovie. Elle est l’aînée de trois enfants. A la mort de sa mère, elle a neuf ans. En 1926, le maréchal Pilsudski instaure une dictature qui se maintiendra jusqu’en 1939. Julia, son frère et sa soeur sont des militants actifs au sein du parti communiste. Ils seront poursuivis, emprisonnés. A 17 ans, Julia est condamnée à 4 ans de prison.
Libérée, elle s’exile comme son frère et sa soeur, l’un à Moscou, l’autre à Paris, pour fuir la répression. Elle est recueillie en Belgique par le Secours Rouge et fait des ménages pour vivre. En 1935, elle épouse à Bruxelles le militant ouvrier Jean Pirotte, et prend sa nationalité. Elle travaille en usine et dénonce la condition ouvrière, avant de se former au journalisme et à la photographie, à la faveur de la crise. Elle écrit pour diverses revues des articles sur la condition ouvrière en général et plus particulièrement sur la condition de vie et de travail des mineurs polonais qu’elle est chargée d’organiser. Son charisme et sa détermination l’amènent à diriger des manifestations et meetings ouvriers et elle se retrouve au chômage !
Suzanne Spaak, qui avait apprécié son talent de journaliste, lui offre un appareil photographique. Julia apprend le métier de photographe à Bruxelles et réalise son premier reportage en Lituanie, Estonie et Lettonie pour l’agence de presse Foto Waro. Alors qu’elle travaille pour cette première mission photographique, la Pologne est envahie par les armées nazies. Elle réussit à revenir en Belgique mais, la guerre lui ayant pris son mari, le 10 mai 1940, n’emportant dans son sac à dos que son Leica et son agrandisseur, là voici sur les routes de l’exode. Elle arrive à Marseille, où elle restera cinq ans et où inscrite comme travailleuse volontaire pour les usines d’armement, elle y travaille quelques mois. Après l’installation du gouvernement de Vichy, elle survit en faisant des photographies sur les plages privées. Active dans la résistance dès les premiers jours de la guerre, elle devient reporter pour Dimanche illustré et peut ainsi accomplir son travail de photographe sans entrave. En même temps, elle sert la Résistance dont elle fait partie. Agent de liaison, elle transporte du matériel de propagande et des armes. Elle fabrique aussi les faux papiers nécessaires aux résistants vivant dans la clandestinité. Agent de liaison au service de la MOI (main d’oeuvre immigrée organisée par les communistes), en août 1944, elle fait partie de la compagnie Marat des FTP-MOI et participe au soulèvement de la ville. Ses photographies de la libération et des fêtes de l’armistice sont largement utilisées par les journaux de l’époque et elle collabore à Combattre, La Marseillaise ou Rouge Midi.
Marseille est au coeur de ses photographies de guerre, Marseille où elle réalise en 1942 le dernier portrait de sa soeur Maria, résistante de la MOI spécialisée dans le travail allemand, arrêtée et déportée peu après, exécutée à la prison de Breslau en 1944. Défilent devant son objectif qui marque une attention particulière à l’enfant, des femmes et des enfants du camp de regroupement de Bompard. Ils sourient, ne pouvant imaginer leur déportation prochaine. Défilent encore, les quartiers populaires de Marseille et ses « gosses » des rues (ces témoignages de misère urbaine furent publiés pendant la guerre dans des revues américaines), les mineurs de Gardanne et leurs familles.
Révolutionnaire, Julia a mis la photographie au service de la cause qu’elle a défendue. On ne peut cependant la classer au service de la cause des femmes. Les femmes photographiées par elle, pleurent ou soignent (infirmière FFI ou volontaire de la Croix Rouge), avant de participer nombreuses aux manifestations de joie de mai 1945. C’est là le paradoxe d’un témoignage unique qui forge en même temps une mémoire quelque peu exclusive.

I-2 Le regard de femmes internées

La différence de regard est essentiellement due aux conditions d’internement. L’image des camps d’extermination ne porte aucune différence sexuée. C’est le monde « asexué » et minéral, des dessins du peintre Zoran Music, à Dachau .
Infirmière de 27 ans, Violette Lecoq après son engagement dans la Croix Rouge a suivi l’armée Française défaite. Elle est mise en prison en juin 1940, libérée ensuite elle participe à la création d’un hôpital militaire à Compiègne où déjà elle fait de la résistance soit en aidant à l’évasion des prisonniers soit en faisant du renseignement. Elle est alors arrêtée et déporté en juillet 1942 à Ravensbrück où assignée au revier (infirmerie) elle peut dérober de quoi dessiner. Son oeuvre nous découvre un monde complètement déshumanisé ou les femmes que ce soit dans « L’aube » ou dans « Bloq » n’apparaissent que comme des mécaniques. Rien ne permet d’y voir des femmes sinon leurs vêtements.t tâcher de faire comprendre l’inexprimable.
Même constat dans les quelques poésies écrites dans des camps par de femmes qui nous sont parvenues en voici un exemple
Mon Dieu,
je n’ai plus de vêtements sur moi,
je n’ai plus de chaussures,
je n’ai plus de sac, plus de portefeuille, de stylo,
je n’ai plus de nom. On m’a étiquetée 35282.
Je n’ai plus de cheveux, je n’ai plus de mouchoir,
je n’ai plus les photos de Maman et de mes neveux.
Je n’ai plus l’anthologie où chaque jour
dans ma cellule de Fresnes
j’apprenais la poésie.
Je n’ai plus rien.
Mon crâne, mon corps, mes mains sont nues.
Dans ces témoignages le regard que portent les femmes sur leurs souffrances ne révèle aucune spécificité. Cependant il nous faut regretter l’absence d’ouvrage sur la prostitution féminine dans les camps nazis.
Les images produites par les femmes internées dans les camps du sud de la France sont autres. Dans les peintures qu’il nous reste du camp de Rieucros une autre vision nous est révélée : images colorées, vêtements et pauses féminines se succèdent, assorties de textes plein d’humour pour nous décrire un univers typiquement féminin.
Ces quelques exemples nous conduisent à une conclusion momentanée : les femmes contemporaines de l’événement n’ont pas voulu ou pu se distinguer des hommes.
Qu’en est il de leur descendantes ?

I-3 Les images « conservées » ou reconstituées des résistantes par leurs filles ou petites filles

Il faut souligner le rôle des femmes dans la reconstitution des archives (Vivette Samuel pour l’OSE) ou dans la collecte des témoignages (Annette Wieviorka ). Des femmes se sont efforcées de témoigner à leur retour. De nouvelles découvertes sont faites dont un journal récemment publié sur Rivesaltes d’une suissesse Friedel Bohny-Reiter .
Malgré tout le contexte mémoriel et historiographique jusqu’à ces dernières années ne se prêtait guère à la mise en valeur des femmes dans la résistance. Rita Thalmann a pu parler à juste titre des « oubliées de l’histoire ». Jusqu’en 1970, les résistantes ne représentaient que 2 à 3% des noms cités . Oubliées également dans les commémorations et les médailles : sur 1059 seulement six femmes sont reconnues Compagnons de la Libération, (Bertie, Laure Diebold, Marcelle Henry, Simone Michel Lévy, Emilienne Moreau Evrad, Marie Heckin) Peu de demandes d’attribution du titre de combattant volontaire de la résistance. A la libération silence des Femmes. Il faut attendre 1984 et la parution de l’ouvrage de Lucie Aubrac, Ils partiront dans l’ivresse pour que Lucie Aubrac soit érigée en prototype de l’héroïne et former avec son époux le couple modèle (best seller avec 24 000 lecteurs et n°1 des ventes). En quoi les femmes ont-elles conforté ce silence ? Les mères et grands-mères n’ont pas été des référents pour les générations suivantes. C’est le constat lucide que fait la sociologue Liliane Kandel. « Nos "grand-mères" préférées, des Amazones aux Communardes, des Pétroleuses ou des suffragistes aux populistes russes passaient rarement le tournant du siècle, presque jamais celui des années vingt. Ce mouvement qui prétendait, s’opposant ainsi à tous les autres groupes politiques du moment, partir toujours "de soi" et de l’expérience de chacune fut, ainsi, extraordinairement muet sur ses propres origines et son histoire (ou sa pré-histoire) proche : l’"histoire des mères" ne fut pas, ou guère, l’histoire de ce qu’avaient traversé, vécu ou subi nos mères. »
A ce problème s’ajoute pour l’historiographie des femmes allemandes la découverte que les femmes allemandes ne furent pas toutes du coté d’Hitler même si elles furent très nombreuses à le suivre- en commençant par la célèbre Leni Riefenstahl-. Il a fallu réfuter la théorie, diffuse mais courante, spécialement dans la gauche allemande, dite du « coup de couteau dans le dos » (la Dolchstosslegende), selon laquelle c’étaient les femmes qui, plus dociles ou plus influençables, auraient porté Hitler au pouvoir
Ou encore"Les femmes organisèrent la maternité de manière à ce que le monde apparût normal et vertueux au citoyen allemand ordinaire comme au plus meurtrier des SS.(....) Elles ont coopéré avec la guerre, le génocide et la terreur en les ignorant, et en contribuant à créer une image d’absolue normalité » Donc pour conclure ce premier point des images complexes qui n’excluent ni un certain humour ni un amour passionné de la vie . Mais que fut leur vie de tous les jours ?

II Le quotidien

Il faut à ce moment là de mon intervention rappeler l’importance des travaux de Dominique Veillon sur ce thème et tout d’abord insister avec elle sur le contexte vichyste qui met en place une propagande et une action culpabilisante envers les femmes qui sont instrumentalisées. Assignées à l’arrière, les femmes se sont pourtant retrouvées au-devant des événements sur les routes de l’exode puis pour gérer le quotidien de l’Occupation.

Un contexte ambiguë traumatisant et culpabilisant
Le premier traumatisme s’inscrit dans la volonté du régime de montrer la responsabilité des femmes dans la défaite. Pour le Maréchal Pétain, en effet, la défaite provenait d’une dégénérescence morale : l’esprit de jouissance opposé à celui du sacrifice en était la manifestation la plus forte . L’éthique vichyste s’est en grande partie développée sur l’idée de la faute. Derrière cette culpabilité collective, des responsables apparaissent les juifs, les étrangers, les communistes ou les francs-maçons mais aussi des femmes. La prétention des femmes à l’égalité entre les sexes, la quête du plaisir et la frivolité attribuée aux jeunes Françaises les aurait éloignées de leur rôle de mère et d’épouse. Le tandem, symbole des loisirs du Front populaire et du couple sans enfants, était pour Vichy un objet honni . Dominique Veillon a souvent souligné la stigmatisation par le régime d’une certaine apparence : port du pantalon, mode des cheveux courts ou platinés, maquillage excessif, consommation de tabac[6]. Cette condamnation s’intègre dans l’accusation plus large portée contre l’égalitarisme au dépend de la hiérarchie et de l’individualisme opposé à la communauté, elle a pris une dimension particulière envers les femmes coupables de s’être éloignées de leur fonction biologique de reproduction, cause principale de la baisse démographique. Pour Vichy “tout ce qui éloigne les femmes [de la maternité] est contre nature, immoral et fatal à la Patrie” . Mais si les femmes ont été désignées comme coupables, elles étaient également considérées comme les victimes d’une société qui avait laissé libre cours à leur égoïsme et leur faiblesse. Sous couvert d’une politique familiale qui a généralisé l’allocation de mère au foyer (loi du 29 mars 1941), Vichy a durci les conditions de divorce (loi du 2 avril 1941), considéré que l’abandon du foyer devient une faute pénale et non plus civile (loi du 23 juillet 1942), interdit l’embauche des femmes mariées par (loi du 11 octobre 1940). Enfin ce même régime a, au nom de la défense de la Patrie, qualifié l’avortement de crime contre la race et “crime contre la sûreté de l’État” (loi du 15 février 1942), pouvant être puni de la peine de mort . Il a également donné la possibilité au ministère public d’engager des poursuites pour adultère à l’encontre des épouses des prisonniers de guerre (loi du 23 décembre 1942) .
La famille proclamée cellule de base de la nouvelle société est au centre de la devise de l’État français (Travail Famille Patrie). La politique de Vichy envers les femmes occupe une place centrale dans le retour à l’ordre. La restauration de la place naturelle des hommes comme travailleurs et des femmes comme épouses et mères en raison de leur infériorité biologique participe au rétablissement de toutes les hiérarchies “naturelles” proclamées par Vichy. Vichy utilise l’image de la femme/mère à des fins de propagande. La fête de mères, qui existait pour les mères de familles nombreuses depuis 1920, devient officielle et elle est étendue à toutes les mères à partir de 1941, manifestation significative de la mobilisation du modèle maternel. Dès la première, le 25 mai 1941, la propagande multiplie les initiatives pour faire de cette journée un moment de consensus. Derrière la mère, l’ensemble de la Révolution nationale et de son chef Pétain se trouve glorifié. Spectacles, défilés, médailles, discours, tous les moyens sont déployés. Une affiche tirée à 80 000 exemplaires et placardée dans toutes les écoles disait : “Ta maman l’a fait pour toi… Le Maréchal te demande de l’en remercier gentiment ».
Le rôle maternel traditionnel est évidemment fondamental pour expliquer l’orientation de la Résistance de nombreuses femmes vers une " résistance au foyer ". Mais, pour les autres, quelles stratégies ont-elles développé afin de concilier les deux ? Pour celles qui ont assumé une séparation d’avec leurs enfants (envoyés chez des grands-parents, ou dans des foyers), y a-t-il eu des séquelles ? Dans ce contexte peut-on toujours parler comme le font encore certaines femmes témoins d’actions bien banales ? On serait alors tentée de parler de banalité du bien !
Des actions banales du vécu quotidien.
Quand Hannah Arendt applique le concept de la banalité du mal à Eichmann et à lui seul en premier et non pas comme on a pu l’interpréter par la suite aux Allemands bourreaux volontaires d’Hitler. Elle veut démontrer un exemple, un type du Mal avec un grand M. Pour elle la banalité du Mal dont Eichmann est le prototype concerne trois phénomènes
1) - le personnage lui-même, par sa façon de parler par clichés soutenus par un langage administratif
2) - sa motivation unique est son zèle à se préoccuper de l’avance de sa carrière personnelle. Son moteur n’est pas l’antisémitisme, même si il l’est profondément, mais le souci de sa carrière.
3) - le type d’activité et un comportement bureaucratique. C’est sa capacité d’organisation qui l’a fait distinguer. Ses actes dont les conséquences sont meurtrières à grande échelle (c’est-à-dire crime contre l’humain) ne sont pas en eux-mêmes meurtriers (organisation des transports, négociations avec de multiples partenaires pour les organiser). Mais et c’est là le troisième élément Eichman savait les conséquences de ses actes mais ne s’en rendait pas compte. Pour s’en persuader il suffit de se demander si le Eichmann du procès était ce qu’il avait été auparavant et de l’écouter sans mettre en doute ses paroles, en prenant ce qu’il dit au pied de la lettre . Sa conscience fonctionne à l’envers n’ayant qu’un objectif : avancer dans la carrière
Ces trois phénomènes définissent selon Arendt en quoi Eichmann est le prototype du mal dans la banalité et non pas dans l’exception. Peut-on à l’inverse parler en se glissant dans le modèle d’Arendt, de banalité du bien . Les arguments peuvent être pris à contrario, pour définir le courage et la valeur des femmes dans leur vie banale et courante, pour montrer en quoi elles sont une image de la banalité du Bien. Tentons l’expérience terme à terme.
Premier terme : la banalité du langage utilisé par toutes les femmes. Elles emploient même le terme quand elles décrivent leurs actes courageux
Deuxième terme : une première divergence apparaît. Les femmes agissent non en fonction d’elles mêmes mais des autres. Les femmes n’ont aucun souci de leur carrière mais plutôt celui du bien des autres.
Troisième terme : là encore divergence. La banalité du bien ne s’encre guère dans la bureaucratie. L’activité déployée n’a rien d’organisée, hiérarchisée. C’est tout à fait le versant opposé.

Des femmes qui manifestent : une résistance ouverte ?

On peut citer quelques exemples pris dans les pays européens comme la manifestation en 1943, sur la Rosenstrasse à Berlin, où des femmes allemandes mariées à des Juifs exigent et obtiennent la libération de leurs maris. Une jeune cinéaste allemande Margarethe Von Trotta a porté avec beaucoup de finesse le sujet à l’écran .

Autre exemple : les manifestation des ménagères contre les pénuries entre 1940 et 1944 . En situant leur étude dans un temps long on s’aperçoit qu’elles combinent en effet un versant " moderne " (pour l’époque) et des traits " archaïques ". Du côté de la modernité, on peut noter qu’il s’agit de la mobilisation de femmes seules, qui sont souvent des femmes au foyer, sur une manifestation à portée politique, puisqu’elle va généralement du marché à la mairie, et qui est souvent organisée ou revendiquée par une force politique : le PCF. Mais d’autres traits rappellent les troubles de subsistance d’ancien régime, et sont comme des symptômes de la régression que les pénuries imposent à la société française sous l’occupation : certaines sont totalement spontanées, les revendications sont toujours immédiates (il faut manger), locales (on s’indigne que des localités voisines aient reçu plus), accompagnées souvent de violences verbales ou physiques, portées d’une ville à l’autre par la rumeur (la radio étant parfois le vecteur).
Les clés de ce phénomène ambivalent sont à chercher du côté de l’histoire des femmes, dans la naissance au XIXe siècle de la figure de la " ménagère ", gardienne des faubourgs, repérée par Michelle Perrot. L’autre intérêt qu’il présente est son décalage par rapport à la notion de " résistance ", qu’il déborde chronologiquement (les manifestations ont continué après-guerre) et conceptuellement. Les actes de transgression collectifs sont un des indices du bouleversement profond qui affecte la population entre 1940 et 1944, et qui seul peut expliquer le basculement de l’opinion de Vichy vers la Résistance. Les femmes qui y sont impliquées ne se perçoivent pas forcément ni ne sont forcément perçues comme des " résistantes ".

III Les femmes dans les camps voir cette partie dans l’ouvrage :Les Femmes dans la shoah , Cahiers d’ARESn°5

de mères.

Bibliographie succincte sur l’histoire des femmes dans la Deuxième Guerre mondiale
Par Renée Dray-Bensousan

Aleksievic, Svetlana Aleksandrovna, La guerre n’a pas un visage de femme, J’ai lu, 2005

Andrieu (Claire), “ Les résistantes, perspectives de recherche ”, dans Prost (Antoine) (dir.), La Résistance, une histoire sociale, Paris, Les Editions de l’atelier, coll. “ Mouvement social ”, 1997, 250 p.

Andrieu, Claire , Histoire de la Résistance, 1940-1945, Fayard, 2005

Au foyer de l’inégalité : la division sexuelle du travail en Suisse pendant la crise des années 30 et la Deuxième Guerre mondiale, Antipodes, 2005

Aubrac Lucie Texte prononcé par Lucie dans l’émission “ Honneur et Patrie ” le 20 avril 1944 à 21h25, publié dans Crémieux-Brilhac (Jean-Louis) (dir.), Les Voix de la liberté. Ici Londres 1940-1944, La Documentation Française, Paris, 1975, tome 4, p. 238-239.

Azéma (Jean-Pierre), “ Le choc armé et les débandades ”, dans Azéma (Jean-Pierre) et Bédarida (François), dans La France des années noires, vol. 1, Paris, Seuil, 1993, p.97.

Azéma (Jean-Pierre), 1939-1940 L’année terrible, Paris, Le Monde, 1989, p.6.

Bertrand (Catherine), La vie quotidienne du personnel féminin dans les armées de France de 1939 à 1945, mémoire de maîtrise université Rennes2, 1992, 120 p.

Cadier-Rey Gabrielle (études réunies par), Femmes protestantes au XIXe-XXe siècles, Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme français, tome 146, janvier-mars 2000,

Cohen Yolande et Françoise Thébaud,(dir) Féminisme et identités nationales. Edition Les Chemins de la Recherche, Programmes Rhône-Alpes de recherches en Sciences humaines, 1998, actes du colloque de Lyon en 1994, « Féminisme et identités nationales »

Collins Weitz Catherine, Les combattantes de l’ombre. Histoire des femmes dans la Résistance, Albin Michel, Paris, 1996.

Duby. Georges Michelle Perrot, Histoire des femmes, Le XXe siècle, sous la direction de Françoise Thébaud, Plon, 1992 Tome 5 Le XXe

Dufour, Jean-Louis La France libre, Nouveau Monde éditions, 2005

Dufour, Jean-Louis et Monique Lise Cohen (sous la dir.) Les Juifs dans la Résistance, Tirésias, Paris, 2001, 215 pages, (portrait d’une résistante par Rachel Cheigam, témoin-actrice)

Ferrier Denise, lettre du 16 novembre 1944, publiée dans Jean-Darrouy (Lucienne), Les Françaises ... dans la guerre. Vie et mort de Denise Ferrier. Aspirant, Ed. Georges Dinesco, Alger, 1946.