Les jumelles de Mengelé : Le témoignage unique d’une rescapée d’Auschwitz

mardi 31 janvier 2023
par  Renée Dray-Bensousan


Eva Mozes Kor avec Lisa Rojany Buccieri Les jumelles de Mengele : Le témoignage unique d’une rescapée d’Auschwitz , paru le 25/01/2023 , A Colin, 224 pages,19,90e. Nombreuses photographies.
Les auteures
Eva Mozes Kor (1934-2019), jeune fille juive roumaine est une enfant lorsqu’elle arrive à Auschwitz. Sur la rampe, alors que ses parents et deux de ses sœurs sont conduits dans les chambres à gaz, elle et sa jumelle Miriam sont repérées par l’Ange de la mort : le docteur Joseph Mengelé . Connu pour ses recherches sur la gémellité, Mengele a mené d’infâmes expériences à des fins eugéniques. Il observait le développement des maladies dont la gangrène et faisait des prélèvements sur des organismes...Cet ouvrage, a été publié pour la première fois en 2009, sous le nom de Surviving the Angel of Death : The Story of a Mengele Twin in Auschwitz, puis traduit en français en 2018 (sous le titre Survivre un jour de plus – Le récit d’une jumelle de Mengele à Auschwitz),
Eva crée en 1984 une association destinée à rapprocher et recenser les jumeaux victimes des expériences de Josef Mengele. Elle parvient à réunir plus d’une centaine de témoignages. Avec sa sœur, qui décède en 1993 des suites des expériences subies à Auschwitz, elle fonde, en 1985, le Candles Holocaust Museum and Education Center, une structure où elle anime des visites et des rencontres, en particulier avec des scolaires. Elle organise également des voyages à Auschwitz. Devenue célèbre aux États-Unis, Eva Kor donne des conférences dans le monde entier sur des sujets liés à la Shoah, à l’éthique médicale, au pardon et à la paix.


Lisa Rojany Buccieri, est auteure de plus d’une centaine d’ouvrages et éditrice.



Avec ses parents et ses trois sœurs, Eva appartient à la seule famille juive du petit village de Port, en Transylvanie, alors situé en Roumanie. La famille entretient de bonnes relations avec ses voisins jusqu’au jour où sa vie bascule quand le pays est envahi par les nazis. Si le port de l’étoile jaune n’y est pas obligatoire, la famille n’en est pas moins mise à l’écart et stigmatisée.
La maison est régulièrement la cible de projectiles et d’attroupements haineux. Dans la petite école du village, la jeune fille et sa sœur, Myriam, sont victimes d’un véritable harcèlement de la part de leurs camarades et de l’enseignante. Eva raconte, par exemple, qu’à 6 ans, elle a assisté à la projection en classe d’un court-métrage intitulé Comment attraper et tuer un Juif. Elle se souvient également que sur le manuel de mathématiques des exercices proposaient le problème suivant : « Si vous aviez 5 Juifs et que vous en tuiez 3, combien de Juifs vous resterait-il ? ».
Puis la famille est envoyée dans le ghetto de Șimleu Silvaniei, en Hongrie. Dans le ghetto, les adultes font courir le bruit que les Juifs envoyés en Allemagne seraient tués. D’où la croyance que la famille survivrait tant qu’elle resterait en Hongrie. En mai 1944, les soldats leur demandent d’abandonner leurs affaires et de monter dans un train, dans des wagons à bestiaux, en direction d’un camp de travail hongrois. L’horrible prise de conscience a lieu lorsque, lors d’un arrêt, après plusieurs jours d’un voyage terrible, un homme répond en allemand aux questions de son père. C’est le camp d’Auschwitz.
Arrivées à Auschwitz, sur le quai de descente du train, Eva et sa sœur sont immédiatement repérées et mises à l’écart du fait de leur gémellité. Le reste de la famille est gazé. Elles ont alors 10 ans. A partir de ce moment-là, Eva prend conscience de leur solitude. Mais loin de baisser les bras elle se promet de survivre avec sa sœur par tous les moyens.
Commence alors pour les deux fillettes une vie en enfer . Elles vont en plus des poux, des rats, de la peur et de la faim, subir les expérimentations de l’Ange de la mort, dont certaines les mutilent définitivement. C’est le cas de Miriam qui après une injection, gardera toute sa vie un rein d’enfant , cause de sa mort plus tard. Après une injection, Eva tombe gravement malade, avec l’apparition d’une forte fièvre et de plaques sur les jambes. Mengele annonce sa mort imminente. Elle réussit, avec la complicité d’une infirmière, à se nourrir. Par ruse, elle parvient à fausser les résultats de ses prises de température quotidiennes, survivant ainsi contre toute attente après deux semaines sur un lit de mort. Les expérimentations recommencent immédiatement.
Voici un extrait de l’ouvrage page 81
« Des filles plus âgées, longtemps après notre libération, nous racontèrent que Mengele leur avait transfusé du sang de garçon et inversement, dans un laboratoire destiné à cet usage. Il cherchait à découvrir le moyen de transformer une fille en garçon et vice-versa. J’appris nombre de ces détails quarante ans plus tard, par exemple que certains adolescents avaient été opérés et mutilés afin de savoir s’ils pouvaient changer de sexe. L’un de ces garçons mourut dans le lit qu’il partageait avec son jumeau, lequel raconta plus tard : « j’ai senti le corps de mon frère refroidir près de moi. Les jumeaux mouraient à la suite d’expérimentations et Mengele les remplaçaient par d’autres paires de jumeaux nouvellement arrivés dans les convois.  »
Les jumelles sont finalement libérées par les Russes le 12 janvier 1945. Elles doivent, avec les autres rescapés, participer à un film de propagande soviétique avant d’être prises en charge.
Le but des deux enfants est alors de rentrer chez elles. Or elles risquent d’être placées dans un centre pour orphelins. Elles vont alors pour éviter cet écueil, demander à une à une ancienne amie de leur mère, qu’elles ont retrouvée au camp, Mme Csengeri, de se faire passer pour leur tante. Elles logent alors dans un camp, dans une pièce qu’elles partagent avec Mme Goldenthal. Mère de jumeaux ayant aussi subi les expériences de Mengele, cette femme avait réussi, avec la complicité d’autres femmes à Auschwitz, à cacher aux nazis un troisième enfant, en le dissimulant sous ses jupes et sous les couchettes. Les jumelles sont ensuite envoyées chez une tante, une des rares survivantes de leur famille, où, si elles ne manquent de rien sur le plan matériel, elles souffrent de son manque d’affection maternelle. Le récit d’Eva se termine sur son départ en Israël, en 1950.
Mais survient à la suite de ce récit l’épilogue d’Eva et la postface de l’éditrice Peggy Tierney (avril 2020) qui donnent à voir le cheminement d’Eva vers le pardon et sa résilience
Après une dizaine d’années passées en Israël avec sa sœur et le reste de sa famille survivante, Eva s’installe en 1960 dans l’Indiana avec son mari et fonde une famille. Elle raconte qu’elle le rencontre en Israël, où il la demande très rapidement en mariage, alors qu’elle ne parle presque pas l’anglais. Au début de sa vie aux Etats-Unis, elle apprend seule à parler la langue et apprend à connaître son mari, n’appréciant pas forcément sa nouvelle vie et allant de désillusion en désillusion. Elle subit un racisme et une stigmatisation du fait de son décalage avec les autres habitants de Terre Haute. Tous les ans, à Halloween, elle est harcelée par les enfants du quartier. Son fils lui reproche son décalage, subissant des moqueries à l’école.
C’est en 1978 qu’a lieu un tournant salutaire. La série Holocauste, réalisée par Marvin Chomsky, entraîne une prise de conscience de la part de ses voisins et de sa famille. Son image change et elle reçoit des lettres d’excuse de la part de ses harceleurs. Elle commence également à donner des conférences sur son expérience de la Shoah.
En parallèle de ses conférences et de son travail de mémoire,
Eva, en plus de son immense travail de mémoire, décide de pardonner aux nazis. Par exemple, elle rencontre Hans Wilhelm Münch, un ancien médecin d’Auschwitz en 1993. Elle lui fait signer, à Auschwitz, un document où il témoigne de l’existence des chambres à gaz. Elle serre la main d’Oskar Gröning, le comptable d’Auschwitz, lors de son procès en 2015. En 2017, elle annonce avoir pardonné à Josef Mengele. Malgré une réaction négative d’anciens déportés, qui ne comprennent pas sa démarche, elle pardonne aux nazis pour en finir avec le pouvoir qu’ils ont eu sur sa vie. Peggy Tierney, l’éditrice qui a rédigé la postface de cet ouvrage, parle de deux personnes différentes, avec une Eva amère avant le pardon, et une Eva plus lumineuse et joyeuse après.
Avec une écriture très fluide et un fort potentiel empathique, ce récit est parfaitement adapté à des collégiens et des lycéens. Ces mémoires ont toute leur place dans les CDI et dans les bibliothèques des professeurs.