Le ravin, Une famille Une photographie Un massacre au cœur de la Shoah,

mercredi 25 janvier 2023
par  Renée Dray-Bensousan

WENDY LOWER Le ravin, Une famille Une photographie Un massacre au cœur de la Shoah, Préface Johann Chapoutot, Tallandier 2022, 313 pages traduit par Johan-Frederik Hel Guedj, 20E90. Nombreuses photographies en annexe et un très riche appareil critique.
Dans Le Ravin, l’historienne présente un cas micro-historique sur une photographie qu’on lui présente en 2009, à l’USHMM où elle mène des recherches sur les massacres de la fin juin 1941.La photographie a été prise le 13 octobre 1941 à Myropil (Miropol) en Ukraine, à mi-chemin entre Kiev et Lviv. Le travail de Wendy Lower, s’inscrit dans une série de monographies sur les différentes régions de l’Empire de l’Est, déjà écrites par Christof Dieckmann sur la Lituanie, par Christian Gerlach sur la Biélorussie, et celle de Dieter Pohl sur la Galicie. Wendy Lower retrace l’enquête qu’elle va mener pour lire et comprendre ce document. Tout au long de son ouvrage on la suit pas à pas dans sa démarche au cours de huit chapitres. Livre passionnant à posséder par chaque professeur pour bien comprendre la démarche historienne.
Le chapitre I intitulé la Photographie est consacré à la description de cette photographie désormais bien connue. Il s’agit bien d’une photographie liée a la Shoah par balles ; certains détails le confirment : les uniformes nazis, les vêtements des civils européens, les fusils a crosse en bois et longs canons, et enfin « une femme et un jeune garçon, peut-être une mère et son fils que des Allemands et leurs hommes liges locaux assassinaient en leur tirant dessus, au bord d’un ravin ».
Cette photographie était restée enfermée dans les réserves des services de la Sécurité, (ancien service inspiré du KGB) à Prague. Seul l’effondrement de l’URSS en 1991 a permis sa révélation. Et mieux le photographe a témoigné dans les années 1950 que les meurtriers ukrainiens étaient des gens de la région qui connaissaient les victimes. Mais pourquoi a-t-il transgresser les ordres allemands de ne pas photographier de scène violente. Ce photographe voulait il témoigner ? Nous le saurons plus tard. Ceci étant acquis l’historienne entame une enquête minutieuse qui durera dix ans et qui va la mener dans divers pays dont l’Ukraine et Israël.
Un des agrandissements du cliché révèle que la femme porte sur ses genoux un deuxième enfant, qu’elle entraine vivant dans sa chute car selon le protocole nazi il ne fallait pas gâcher de balles sur des enfants juifs. A côté git un homme recouvert d’un manteau. Voilà donc la famille reconstituée, mais qui est-elle ? D’où un voyage à Myropil ce qui est l’objet du chapitre II qui découvre le passé juif de cette région.
Le chapitre III met en scène « L’Aktion : les tueurs allemands ». Pour l’auteure qui avait assisté à plusieurs procès, remonter la piste de ces tueurs est une tâche urgente. Ils sont des policiers allemands des frontières que Wendy Lower retrouve dans les archives allemandes à la suite des enquêtes menées dans les années 1970-1980 pour retrouver les criminels de guerre. En 1969 un soir de janvier, un policier des douanes à la retraite, Kurt Hoffmann, se présente au poste de police de sa ville natale, Laatzen, en annonçant qu’il souhaitait signaler un crime. Il avait été posté à Myropil pendant la guerre et son unité avait participé au massacre de Juifs. Plus exactement son commandant avait demandé des volontaires et deux d’entre eux s’étaient présentés ; Erich Kuska et Hans Vogt. Après les exécutions, Hoffman était allé sur le site de la tuerie et avait vu les charniers.
Le procureur fédéral de Hanovre se chargea de l’affaire. Apres enquête Vogt était introuvable quant à Kuska il fut cité à comparaitre devant le tribunal de Brême traitant ses accusateurs de menteurs. Il manquait des preuves et cela aida plusieurs criminels.
Cependant Wendy Lower, a continué son enquête en allant de nouveau sur place en 2014 puis 2016 et surtout en interviewant la dernière rescapée Ludmilla Blekhmann. Elle peut donc proposer une chronologie fine de l’événement.
Dans les chapitres IV (Le photographe) et V (La recherche de la famille) l’auteure de cet ouvrage remarquable tente de donner chair au photographe dont elle retrouve le nom, Skrovina et les motivations, c’est un résistant qui a même caché des Juifs. Quant à la famille victime, elle est nommée mais un doute subsiste.
Dans les chapitres VI (Exhumer l’Histoire) et VII(Les disparus effacés) l’auteure va se heurter à des questions éthiques lors d’une campagne en Ukraine avec le père Desbois et son équipe judéo-catholique Yahad in Unum au cours de l’été 2016 puis 2018. Sur place elle prend conscience que même la terre réagissait à la tuerie : des ossements humains émergeaient. Plusieurs campagnes d’exhumations l’avaient précédée, d’abord des fossoyeurs ou pirates à la recherche d’or, ensuite des campagnes soviétiques, et enfin les campagnes du père Desbois. Le but étant de donner à ces victimes une dernière demeure.
Le chapitre VIII aborde la question de la « Justice ».
Après la guerre les meurtriers allemands n’ont pas disparu mais comme ils avaient tué en toute impunité, ils ne furent pas inquiétés. Tel ne fut pas le cas des Ukrainiens. Quand les Allemands évacuèrent Myropil en 1943, les collaborateurs ukrainiens furent confrontés aux libérateurs soviétiques qui arrivèrent le 6 janvier 1944. Les collaborateurs ukrainiens s’inventèrent alors des alibis, certains rejoignirent même les rangs de l’Armée rouge. D’autres dénoncés par la population locale subirent un traitement expéditif (pendaison, déportation en Russie) quand en 1944, les agents des services soviétiques de renseignements, les enquêteurs et les tribunaux militaires de campagne arrivèrent. Mais beaucoup échappèrent aux mailles du filet et aujourd’hui il nous reste ces photos.
Renée Dray-Bensousan