Témoignage de Jacques Bonnadier pour évoquer le.souvenir de Paul Carpita..

lundi 26 juillet 2021


Témoignage de Jacques Bonnadier pour évoquer le souvenir du cinéaste marseillais Paul Carpita (1922-2009), auteur d’un film censuré puis retrouvé, « Le Rendez-vous des quais  » et de quelques autres longs et courts métrages, œuvres d’un réalisateur sensible et généreux qui tourna toujours son objectif « du côté de petits ».
Marseille, premiers jours de juin 1991. Paul est aux anges. Comme une maman qui a retrouvé son bébé ! Lui, Paul Carpita, c’est son film qu’il a retrouvé, son unique long métrage : Le Rendez-vous des quais. A peine achevé en 1953, l’œuvre avait été censurée – menace pour l’ordre public ! –, les bobines saisies. Il les croyait détruites, perdues à jamais. Il n’en revient pas de ce qu’il lui arrive : ce film retrouvé grâce à son ami Jean-Pierre Daniel, le directeur de l’Alhambra ciné-palace de Saint-Henri, distribué grâce à Yves Rousset-Rouard, autre enfant de Marseille ; ces retrouvailles avec ses acteurs ; ce public ému qui, partout, lui fait fête ; et ces lettres, ces coups de fil de la France entière, ces articles unanimes !... Il plane littéralement, le bonhomme !
Rends-toi compte ! me dit-il. A Paris, les gens, ils font la queue pour voir le film ; et à la fin, ils applaudissent ! Un film en noir et blanc, plein de défauts, tourné par un réalisateur qu’ils ne connaissent même pas ! Et ils applaudissent ! Il y a des jeunes filles qui pleurent, tu imagines ! Alors que le film est complètement démodé : il n’y avait pas la pilule en 1953 ! Elles rient aussi, mais elles ne se moquent pas ; elles disent : on rit par amour, ça nous rappelle nos parents… C’est pas touchant, ça !
Touchant, sans doute. Comme est touchante l’œuvre elle-même ; mélange de fiction et de réalité qui, en esquissant un néo-réalisme français (en tout cas marseillais) annonciateur de la « Nouvelle Vague », reflète simplement mais authentiquement la vie des gens simples et authentiques dont elle raconte l’histoire : ces dockers affrontés, au début des années 50, en pleine guerre d’Indochine, aux nécessités de la grève et des luttes, aux difficultés du quotidien.
Qui était-il ce petit homme volubile et toujours en mouvement, le regard tendre et souriant sous ses lunettes ? Un livre d’entretiens*, un site internet à son nom, des documentaires audio-visuels et sonores et, bien entendu, ses propres films (longs et courts métrages, films institutionnels), tous disponibles en DVD, permettent de retracer sa vie. Je résume, à la lumière des récits qu’il m’en fit lors de nombreuses rencontres amicales.
Moi, je suis né le 12 novembre 1922 dans les vieux quartiers de Marseille. Je suis d’une famille de dockers ; mon père était docker et ses six frères aussi. Ma mère, poissonnière. J’ai toujours vécu entre les chalutiers et les docks, et j’ai une passion pour la mer et les poissons…
Tout gosse, le petit élève de la rue du Poirier – un paquet de nerfs, au dire de son instituteur M. Fourel – aimait faire le pitre, raconter des histoires. Et il avait choisi l’image. Une boîte à chaussures et une lampe électrique lui suffisaient pour fabriquer une lanterne magique et projeter sur les murs de sa chambre les dessins de son invention. Séances interminables avec les copains du quartier, à l’étonnement amusé de sa mère : Ce petit, il a le cinéma dans le sang !
D’autres appareils viendront ensuite renforcer cette fascination : le cinéma 35 mm pour bébé, cadeau maternel, qui projetait en boucle une séquence dont le héros était un phoque attrapant un ballon ; le « Pathé-Baby » grâce auquel son bon instit’ passait de petits films éducatifs – c’est moi qu’il chargeait de tourner la manivelle ! – et puis la première petite caméra, offerte « après le certif ». Enfin, les premiers vrais tournages, avec la création du groupe « Ciné Pax » qui réalisait des « contre-actualités » et les projetaient en public. C’était du cinéma militant, avouait Carpita, alors communisant, mais pas étroitement militant. Simplement, j’avais été témoin de l’humiliation et de l’injustice sociale ; j’avais vu ma mère, une femme formidable, écrasée, humiliée, et mon père aussi ; c’est de ce côté-là que, dés que j’ai eu une caméra, j’ai naturellement tourné mon objectif. J’ai toujours été du côté des petits ».
Du côté des enfants aussi, puisque tout en faisant du cinéma, Paul fut longtemps instituteur, au quartier Saint-Gabriel, à Marseille. C’est d’ailleurs dans la cour de son école qu’il tourna son court métrage de fiction La Récréation, le premier d’une série de films tendres et joyeux dont quelques-uns sortirent de l’ombre avec Le Rendez-vous des quais et qui ont pour titres Marseille sans soleil, Demain l’amour, Graines au vent, Des lapins dans la tête…
Puis, ce fut la création en 1968 avec Maguy, sa femme et son plus solide soutien, de Profilim (Production de films du littoral méditerranéen) société spécialisée dans les courts métrages sur l’environnement : défendre la forêt, l’eau menacée, la nature souffrante, perdante. Je suis avec les perdants ! confirmait-il. Et en tout cela, poète, assurait Roger Muñoz son comédien-éclairagiste-régisseur-assistant pendant quarante ans. Rêveur également et fonceur tout autant, qui ne vécut ensuite que pour le projet de son deuxième long métrage, Sables mouvants (1996) tourné en Camargue puis pour celui d’un troisième situé à Martigues : Marche et rêve - « Les homards de l’utopie » (2002), une comédie méridionale, drôle et dramatique à la fois, l’un et l’autre restituant le contexte économique et social du moment.
C’était un bonheur de chaque instant que de retrouver le cinéaste dans le calme de sa maison de Château-Gombert et de l’écouter raconter son prochain film. Il en avait écrit le scénario et les dialogues et, avant même le tournage, il en connaissait par cœur chaque plan ! J’ai un écran dans la tête ! disait-il en s’esclaffant ; quoique ce ne fut pas la technique qui l’intéressât d’abord mais l’humain, les gens de chair et de sang. Il ne cessa d’être attaché aux sans grade confrontés aux difficultés de la vie pour les montrer dans leur vérité et leur authenticité et exprimer en leur nom un message d’espoir et de foi en l’avenir. Je suis avec eux tout le temps ! Je les aime ! ...
La veille de sa mort, le 24 octobre 2009, il travaillait encore à son dernier scénario, sans avoir jamais cessé de rêver aussi au film-télé où il raconterait ses souvenirs d’enfance au Panier, du temps de ses 6 ou 7 ans, quand avec les minots de sa bande, il s’accrochait derrière les Citroën qui passaient au bas de la rue de la Prison et grimpaient jusqu’à l’Hôtel Dieu ; et on faisait pareil pour le retour ; on se régalait ! Un jour, il y en a une qui a pris le virage à toute allure et m’a emmené très loin près de la Corniche et j’ai dû revenir à pied le long de Rive-Neuve pour rentrer chez mes parents. J’avais pas les sous pour prendre le pont transbordeur ! J’ai eu une de ces trouilles !...
*Paul Carpita, cinéaste franc-tireur ; entretiens avec Pascal Tessaud, préface de Ken Loach (« L’Echappée », 2009)