L’histoire rocambolesque d’un collectionneur ami d’Ambroise Vollard

dimanche 9 mai 2021
par  Renée Dray-Bensousan


LE MYSTERE CHLOMOVITCH de MOMO KAPOR, Edition Xenia, 2006 traduit du serbe par Slobodan Despot



L’AUTEUR
Momo Kapor, lui-même peintre, reconstitue d’une manière captivante les étapes, et plus encore le mystère, d’une existence et d’une passion hors du commun.


David Laufer , l’auteur de la postface, a travaillé auprès du Musée national de Belgrade. Il est l’un des meilleurs connaisseurs occidentaux de l’affaire Chlomovitch. L’ouvrage donne à voir une construction aussi intéressante qu’originale, avec une succession de témoignages, sans respecter une chronologie abusive, menant une enquête en esquissant différentes hypothèses pour éclaircir le mystère qui entoure cet homme et sa collection. L’ouvrage comprend un cahier couleur avec des reproductions inédites de maîtres français !
Un premier récit qui fut aussi celui des proches de Chlomovitch provient de Stolen Art , une enquête sur l’affaire par Victor Perry, décédé avant la publication du livre en Israël en 2000. Le livre de Perry comprend des entretiens avec des Yougoslaves qui connaissaient le collectionneur et avec des responsables yougoslaves.


Né en 1910 et fils d’un modeste tailleur juif de Voïvodine, Erich Chlomovitch conçoit, tout jeune encore, une étrange passion pour les impressionnistes. Il a pour livre de chevet un des ouvrages d’Ambroise Vollard auquel il écrit à 13 ans et qui lui a répondu. Il monte à Paris en 1935 et devient le secrétaire du fameux collectionneur, marchand des impressionnistes, ami de Matisse et de Picasso. et constitue, au cours des années 30, une prodigieuse collection de plus de 300 œuvres de premier plan. Ambroise Vollard et Éric Chlomovitch sont liés d’une amitié profonde que d’aucuns accusent d’être une liaison homosexuelle. Mais rien ne vient corroborer cette hypothèse. Marc Chagall l’ami intime d’Éric n’a jamais parlé. La collection comprend entre autres une série de clichés illustrant l’amitié de Chlomovitch avec Matisse, Picasso, Le Corbusier et Bonnard.
Éric et Ambroise partagent la même passion pour l’art. A la mort de Vollard dans un accident de voiture en juillet 1939, Chlomovitch hérite d’une partie de sa collection de maîtres français, qui s’ajoute aux pièces acquises par lui-même.
Quelques mois plus tard, sentant venir le danger nazi, il enferme 200 tableaux dans un coffre-fort de la Société Générale et envoie le reste dans les Balkans. Il a tout juste le temps d’organiser une exposition à Zagreb en 1940 ce qu’il n’a pu faire à Belgrade. L’exposition est inaugurée le 24 novembre 1940 ; toute la bonne société s’y « Le catalogue recense 429 pièces [dont]197 tableaux , sculptures et céramiques. L’artiste le plus représenté est Auguste Renoir, (48 œuvres,) viennent ensuite Degas (29), Jean-Louis Forain (23) Vlaminck (12) Bonnard (11)
Mais le séjour à Zagreb prend fin avec l’attaque de la Yougoslavie par les Allemands. Chlomovitch fuit de nouveau. Il commande à un ferblantier quatre grandes caisses métalliques dans lesquelles il met ses possessions artistiques.
Il fuit à nouveau dans un village du sud de la Serbie, Varvarin, où il dissimule sa collection dans la double cloison d’une cuisine d’été d’une ferme. La cache est bonne. Elle échappera aux Allemands qui arrêtent et exécutent Chlomovitch en 1943, ainsi que son père et son frère.
C’est Roza, la mère, née Herzberg, seule survivante, qui prendra contact en 1946 avec le nouveau gouvernement socialiste yougoslave pour négocier une cession de la collection au Musée national de Belgrade contre un logement et une pension d’Etat. Chlomovitch aurait assez tôt parlé de créer un musée pour sa collection. La mère se rend au village, dévoile la cache mais, sur le chemin du retour à Belgrade, voilà qu’elle meurt dans un accident de train, avant d’avoir signé la cession ! Les œuvres font néanmoins leur entrée au musée en 1949, qui les répertorie, les expose et les fait voyager. Dans les années 60, des descendants Herzler domiciliés en Israël réclament la collection, mais se font débouter.
L’affaire rebondit en 1977, lorsque la Société Générale à Paris ouvre le coffre en déshérence et en porte le contenu (un portrait de Zola peint par Cézanne, des fusains de Renoir, des eaux-fortes de Degas, etc .) aux enchères de l’Hôtel Drouot. La nouvelle réveille des appétits. Des Herzler descendant de Chlomovitch, réclament les œuvres, tout comme des descendants Vollard. L’Etat yougoslave fait lui aussi une demande. La vente est annulée en 1981 et l’affaire va passer d’une instance judiciaire à l’autre jusqu’à ce jugement de 1996 qui fait d’un lointain parent Vollard le légataire principal. Les descendants Herzler ne reçoivent que les pièces dédicacées à Chlomovitch.
Mais ils ne se découragent pas et réclament à la justice d’une Serbie alors sous embargo l’autre partie de la collection. Un jugement en 1997 leur est favorable et laisse le Musée national stupéfait. Un appel est déposé. A New York, une tribune juive assimile la collection Chlomovitch à l’art volé par les nazis. Pour David Laufer, il est absurde de parler de vol, puisque le musée ne s’est jamais caché de posséder ces œuvres. Pour l’heure, craignant une saisie à l’étranger, le musée a cessé de faire voyager la collection. Le mystère n’est pas totalement dévoilé et l’auteur de ce passionnant ouvrage, espère une autre découverte dans un coffre pas encore ouvert !
Signalons encore la dispersion le 29 juin 2010 par Sotheby’s, des œuvres de la collection Vollard celles-là même qu’Erich Chlomovitch avait laissées dans un coffre de la Société Générale à Paris en quittant la France occupée en mars 1940.
Et en conclusion, voici celle de David Laufer dans sa postface.
«  Ainsi Erich Chlomovitch sera mort trois fois : on lui aura ôté la vie, puis son nom, et enfin sa collection. La première fois, lorsqu’il fut assassiné par les Nazis en raison de son origine. La seconde fois, lorsque sa collection fut secrètement ravie, cachée pendant des décennies, avant d’être exhibée sans aucune mention de sa provenance ni du nom du collectionneur. Et la troisième fois viendra lorsque ce produit multiple de la vision et de la passion d’un seul homme sera démantelé et vendu à l’encan…sa première mort, c’est la brutalité maniaque du nazisme ; sa seconde, c’est l’arrogante injustice du communisme ; sa troisième mort sera l’expression à la fois du mercantilisme de notre temps, et de la coupable incurie des administrations ».


Renee Dray-Bensousan