Camus le « Français D’Algérie »

mercredi 23 décembre 2020
par  Renée Dray-Bensousan


Camus le « Français D’Algérie »
Lors de la remise de son prix Nobel en 1957, Camus tout en insistant sur le fait que « La vérité est mystérieuse, fuyante, toujours à conquérir. La liberté est dangereuse, dure à vivre autant qu’exaltante » rappelle que cet hommage est rendu à un « Français d’Algérie ». On connaît la suite, son interpellation par un jeune Algérien et sa réponse
« J’ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s’exerce aveuglément, dans les rues d’Alger par exemple, et qui un jour peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice »
Cette référence à une origine contestée alors, rappelle Jean Daniel, un autre enfant du pays, lors d’un colloque où le nom de Camus fut associé à celui d’écrivains algériens célèbres. Camus aujourd’hui est revendiqué par tous les bords politiques depuis les nostalgériques c’est à dire les nostalgiques de l’Algérie française, aux Algériens qui désirent rapatrier ses cendres.
Malgré toutes ces contradictions il est impossible de nier que Camus et l’Algérie restent liés a jamais et j’en veux pour preuve que son dernier manuscrit laissé inachevé par une mort brutale, le 4 janvier 1960, cet ouvrage donc « Le premier homme » est comme le rappelle un très bel article de Christiane Chaulet Achour, un retour a l’Algerie sans voile ni détour.
Je ne reviendrais pas sur les oppositions a Camus et sur la guerre Sartre /Camus mais je voudrais aborder un pan douloureux de notre histoire celui de l’arrivée des Français d’Algérie


Pour les rapatriés d’Algérie Camus a été un symbole de leur histoire en France Or cette histoire accouche dans la douleur. Et Camus parce qu’il était un enfant de « du pays » y participe. Il avait mieux que Sartre vécu le drame de l’intérieur et pouvait dépasser le niveau des idées pour donner chair à ses positions.
En 1962, c’est un barrage qui se rompt : 700.000 Français d’Algérie arrivent sur le sol français. Drame national à leur arrivée, cet exode, vu avec un demi-siècle de recul, a connu un épilogue heureux : la réussite de leur intégration.
Et tout d’abord pourquoi Pied-noir
Les origines du vocable sont contestées. Les uns affirment que le mot remonte aux soldats français débarqués en 1830 qui portaient des guêtres noires. Les autres pensent que le sobriquet vient des colons viticulteurs qui écrasaient le raisin en le piétinant et sortaient du pressoir les pieds noircis par le jus. Quelle que soit son étymologie, l’expression va s’imposer en France et éclipser les autres.
Quelques rappels historiques
En 1962, au moment des accords d’Evian, les Français métropolitains les appellent déjà rapatriés. Un secrétariat d’Etat aux Rapatriés a été créé l’année précédente, confié à Robert Boulin. Dans la foulée, des décrets ont été publiés prévoyant l’accueil des Français d’Algérie ainsi que leur accès à des aides spécifiques. Mais ce dispositif, copié sur celui mis en place pour les Français du Maroc, de Tunisie et d’Indochine, va être totalement submergé.
Depuis la Toussaint 1954, cela fait plus de sept ans que l’Algérie vit dans la guerre. D’abord dans les campagnes puis dans les villes avec, pour ne citer que quelques épisodes, la bataille d’Alger, le terrorisme, les assassinats, sans oublier les fameuses nuits bleues où les explosions succèdent aux explosions. Quand des négociations secrètes, à l’initiative du général de Gaulle, aboutissent aux accords du 18 mars 1962 conduisant à un cessez-le-feu, prélude à l’indépendance. L’Organisation armée secrète (OAS), créée un an auparavant dans le but de maintenir l’Algérie française, redouble de violence. Pour une immense majorité de pieds-noirs, ces combats fratricides, qui s’ajoutent aux exactions récurrentes du Front de libération nationale (FLN), donnent le signal du départ. . C’est « la valise ou le cercueil ».
Entre mars et septembre 1962, villes et villages d’Algérie se vident de leur population européenne comme si un barrage s’était rompu. Des rotations incessantes de navires vers Marseille et Port-Vendres ainsi qu’une noria d’avions déversent près de 700.000 rapatriés sur le sol de la métropole - 70 % de la population française d’Algérie. Rares sont ceux qui ont eu le temps de déménager.
Leur arrivée sur le sol de la mère patrie
C’est un peuple d’artisans, d’employés, de commerçants, de fonctionnaires chers à Albert Camus qui foule le sol de la mère patrie, et dans sa majeure partie, qui n’a jamais foulé le sol de l’Hexagone. Ceux qui l’ont visité n’y ont souvent passé que quelques semaines de vacances et n’en ont donc rapporté que des souvenirs heureux. Leur vision idyllique ne résistera pas aux premières heures passées sur les quais de Marseille ou dans les salles de débarquement d’Orly. Les rapatriés découvrent soudain une France marquée par la guerre d’Algérie, mais pas comme ils l’ont été eux-mêmes. Ces Français-là les accueillent souvent mal, parce que des dizaines de milliers d’appelés du contingent ont été envoyés dans les Aurès « à cause d’eux » ; parce que l’OAS a commis des attentats en métropole et qu’on les tient pour responsables ; et parce que des généraux ont organisé un putsch un an plus tôt contre la République. L’hostilité a été amplifiée par une certaine presse et par la propagande communiste, qui les présentent tous comme des « colons » : propriétaires latifundiaires exploitant de pauvres fellahs ou bourgeois nantis dont les Arabes ciraient les chaussures aux terrasses des cafés. En réalité, les trois quarts des Français d’Algérie avaient des revenus inférieurs de 20 % à ceux des métropolitains. Et les riches que le PC brocardait ne représentaient que... 3 % des pieds-noirs.
Gaston Defferre, alors maire de Marseille, se place au premier rang du « comité d’accueil ». Supporter de l’indépendance, il n’éprouve pas de sympathie pour ces intrus qui débarquent par milliers chaque jour dans la cité phocéenne. La réaction du maire Gaston Deferre est même violente. "Qu’ils aillent se réadapter ailleurs" s’écrit-il en juillet 1962. Gaston Defferre ne fait que relayer l’opinion de la plupart de ses administrés. Car, depuis le mois de juin 1962, le port phocéen étouffe littéralement sous l’afflux des rapatriés d’Algérie. Au point d’en oublier sa tradition d’accueil.
Le 2 juillet 1962, dans une interview à Paris-Presse, il déclare : « Au début, le Marseillais était ému par l’arrivée de ces pauvres gens, mais, bien vite, les pieds-noirs ont voulu faire comme ils le faisaient en Algérie quand ils donnaient des coups de pieds aux fesses des Arabes. Alors les Marseillais se sont rebiffés. Vous-même, regardez en ville : toutes les voitures immatriculées en Algérie sont en infraction ! » « Halte au péril pied-noir », peut-on lire sur des affiches placardées sur les murs du port. Dans ce climat tendu, des pieds-noirs verront même leurs caisses jetées dans les bassins par des dockers CGT. L’historien Jean-Jacques Jordi estime que le quart des biens des rapatriés déchargés à Marseille ont été purement et simplement volés.
En fait, quelles qu’aient été les arrière-pensées politiques des uns ou des autres, l’afflux soudain de pieds-noirs prend le gouvernement et l’administration au dépourvu. Ni le secrétariat d’Etat, ni le ministère de l’Intérieur, ni les préfectures ne sont prêts à y faire face. Le problème est énorme. Il faut loger, nourrir, scolariser des milliers de Français arrivés en six mois.
La question du logement est la plus urgente. Hélas, en ce début des années 60, la France se débat déjà avec ce problème. Les dossiers des rapatriés vont donc épaissir le fichier des mal-logés et s’ajouter aux cohortes de demandeurs de HLM. À l’été 1962, on les héberge dans des internats, vides durant les vacances scolaires, dans des entrepôts désaffectés ou d’anciennes casernes, voire dans de petits hôtels sans confort réquisitionnés par les préfectures. La Croix-Rouge, le Secours catholique, la Cimade (protestante), le Fonds social juif déploient leurs bénévoles pour les assister
Ces « solutions » relèvent toutes de l’expédient ou de la charité plutôt que du plan réfléchi et concerté. Longtemps encore, ils furent des milliers à occuper des logements insalubres en payant des loyers prohibitifs au regard de l’état des locaux. Il faudra des années pour régler le relogement des pieds-noirs en France. Le chercheur Yann Scioldo-Zürcher, auteur d’une étude détaillée sur l’intégration des rapatriés d’Algérie (Devenir métropolitain, éditions EHESS), souligne néanmoins que l’État a veillé à ce que les rapatriés n’échouent pas dans les bidonvilles, nombreux autour des grandes villes françaises de l’époque.
Attirés par le climat du midi de la France
L’objectif d’origine - veiller à éviter des concentrations trop importantes dans certaines régions de France - n’a pas été atteint. Le midi de la France, notamment le pourtour méditerranéen, concentre la majorité des pieds-noirs. Viennent ensuite la région parisienne, puis le Rhône et l’Isère. Une répartition géographique qui révèle deux tendances fortes. Premièrement, beaucoup de pieds-noirs ont privilégié le climat. N’oublions pas que cette population composite, mêlant Français, Espagnols, Maltais, Italiens, Grecs, Séfarades, représentait une sorte de concentré de Méditerranée qui n’avait que peu, ou pas du tout, de racines en France. D’où l’envie de s’établir près de la « grande bleue » ou, en tout cas, d’éviter les hivers trop rudes. Deuxièmement, les zones de forte expansion ont accueilli de nombreux pieds-noirs. Le constat est vrai pour l’Ile-de-France et la région Rhône-Alpes. Mais il l’est aussi pour les grandes villes du Midi : Marseille, Nice, Montpellier, Perpignan, Toulon.
Bilan
L’arrivée des pieds-noirs a correspondu avec le moment fort des Trente Glorieuses, marqué par une croissance annuelle supérieure à 6 % jusqu’en 1965. Ils y prirent leur part.
Un demi-siècle apres on peut juger de leur intégration : le couscous a-t-il supplanté la bouillabaisse ? Non mais sur la table du quotidien et du pauvre il figure en bonne place.


Renée Dray-Bensousan


intervention pour le Rotary à Marseille


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