Alger 1898. La grande vague antisémite. Pierre...

dimanche 1er novembre 2020


Alger 1898. La grande vague antisémite. Pierre Hebey. Nil Editions 1996, 157 pages


 Alger va être le théâtre en 1898 d’un déferlement de haine antijuive définie comme telle. La cristallisation se fait sur la remise en cause du décret Crémieux qui, le 24 octobre 1870, fait des « israélites indigènes des départements de l’Algérie des citoyens français », et plus encore sur leur expulsion aux cris de « A bas les juifs. A mort les juifs ».
C’est cette flambée qui est le sujet de cet ouvrage. Pierre Hebey en analyse tous les tenants locaux et nationaux, les aspects sociologiques et politiques, et apporte une quantité d’informations sur cet épisode peu connu et souvent occulté par les victimes elles même car vécu comme avilissant.
 Au départ donc le décret Crémieux, sa genèse, ses conditions, ses soutiens, ses acteurs, le contexte de sa promulgation.
Les 35.000 nouveaux citoyens, qui ont renoncé à leur statut personnel pour adhérer sans réserve à la civilisation française, ne vont pas jouir en paix de leur citoyenneté. Tout va être prétexte à la vindicte ; la nomination d’un professeur de Droit juif à la faculté, la remise d’une décoration, une simple bagarre et c’est le déchainement de la violence allant jusqu’au pogrom comme en 1897 à Constantine et à Oran.
 Ce sont surtout les périodes électorales qui en sont l’élément déclencheur. Chaque élection municipale ou législative s’accompagne d’émeutes antijuive. Celles de 1898 étant les plus virulentes : agressions, humiliations, descente dans les quartiers, pillage, boycott et saccage des magasins.
 En Algérie comme en France, deux forces politiques briguent le pouvoir dans cette 2ème décennie de la IIIème République : les opportunistes et les radicaux. Le « vote juif » en faveur des premiers est dénoncé par ces derniers qui alimentent un climat de haine à travers leurs discours, publications, meetings, chanson - la « Marseillaise juive » !, et leurs journaux. Les titres de cette presse sont sans ambiguïté : « L’Algérie juive », « L’Antijuif ». Pierre Hebey en donne de larges extraits plus nauséabonds les uns que les autres et en annexe, la brochure éditée en 1899 sous le titre « L’Œuvre des antijuifs d’Alger » qui a été le point de départ de ce livre. Elle est consacrée à Max Régis, jeune agitateur charismatique, et à son journal, florilège d’articles incendiaires, accablants publiés pendant la campagne de 1898. Cette « littérature » que l’on retrouve en France à la même époque réclame en plus le retrait du décret honni et l’expulsion des juifs pourtant indigènes du pays !
1898, l’année de l’Affaire Dreyfus. Pour l’auteur, il ne semble pas qu’elle ait eu sur ces évènements beaucoup d’incidence. Les radicaux sont républicains et antimilitaires donc peu proche des antidreyfusards. Quoiqu’il en soit, 19 députés antijuif sont élus avec à leur tête Edouard Drumont, célèbre pamphlétaire, auteur de la « France Juive ». Max Régis, quant à lui, est élu maire d’Alger avec 36 conseillers municipaux antijuifs. Ces succès sont le produit d’une intense propagande, de la faiblesse et ou de la connivence des gouverneurs généraux, de la police, de la populace maitresse de la rue.
 Ce livre très dense, très documenté, avec un impressionnant corpus documentaire, fait une large place aux principaux acteurs locaux et nationaux de la scène politique et aux relations de la colonie avec sa métropole.
Ce livre, l’auteur le dit en avant-propos, est un livre de transmission, un livre de mémoire contre l’oubli. Il est un hommage à ces juifs d’Algérie qui ont su, comme son grand-père à qui il dédie ce livre, » entretenir et transmettre la joie d’être français » malgré les vicissitudes et les trahisons.


Pierre Hebey, né à Alger en 1926, mort à Biarritz en 2015. Avocat, essayiste, romancier, collectionneur d’art a publié une dizaine d’ouvrages dont : L’esprit NRF ; la NRF pendant les années sombres ; les Disparus de Damas.


Recension faite par NICOLE AGOU