Faisons rouvrir les librairies : Thésée, sa...

dimanche 1er novembre 2020


Faisons rouvrir les librairies :
Thésée, sa vie nouvelle, par Camille de Toledo Editions Verdier, 2020, 256 p
Encore un livre autobiographique ! Divisé en neuf parties, Thésée est l’histoire d’un homme qui porte un poids trop lourd pour lui, celui d’un passé qui grève le présent et hante l’avenir. Treize ans plus tôt, son frère s’est pendu à l’âge de 33 ans. Ses parents, dévastés, mourront peu après. Il s’enfuit alors à Berlin. Avec l’aide d’une malle d’archives, il remonte le cours de l’histoire familiale, qui a commencé dans l’Espagne du XVe siècle, quand les juifs ont été expulsés ou contraints à se convertir, sous peine de mort. Ces marranes ont transmis aux générations suivantes la peur et la nécessité du secret.

Ancien de Sciences Po Paris, Camille de Toledo est né en 1975. Son vrai nom est Alexis Mital. Il vit à Berlin. Il est docteur en littérature comparée et enseigne notamment à l’Atelier des écritures contemporaines de l’ENSAV à Bruxelles. Il est l’auteur de nombreux livres dont Le Hêtre et le Bouleau (2009), Vies potentielles (2010), L’Inquiétude d’être au monde (2012), Le Livre de la faim et de la soif (2017). Thésée est un des 4 finalistes du prix Goncourt mais on ne connaitra le nom du lauréat qu’après la réouverture des librairies.

Le bonheur, sa dent douce à la mort, par Barbara Cassin, Editions Fayard, 2020, 252 p
Avec un curieux titre, dérivé de l’Alchimie du verbe de Rimbaud, l’autobiographie de Barbara Cassin, encore une, est un texte sensible et littéraire qui, de l’anecdote à l’idée, nous donne à voir la texture philosophique de toute vie. Un travail fait pour son fils Victor, qui fait redécouvrir René Char, Heidegger, Lacan, Nietzsche, Platon, Ulysse, l’Afrique du Sud, la Corse, les juifs, les cathos, des Hongrois, des Allemands…

Barbara Cassin, née en 1947 à Boulogne-Billancourt, est spécialiste des philosophes grecs et de la rhétorique de la modernité. Elle est médaille d’or du CNRS et membre de l’Académie française. Elle est la petite-fille de René Cassin, prix Nobel de la Paix et l’arrière-petite-fille d’Azaria Cassin, descendant de juifs portugais marranes établis dans le Piémont puis à Nice. Elle a écrit une vingtaine de livres dont L’Effet sophistique (1995), Parmenide (1998), Google moi (2006), la Nostalgie (2013) ou Eloge de la traduction (2016).

Entrer dans la Lumière de l’Éternel, par Hasdaï Crescas, présenté par David Encaoua pour Sifriatenou, Editions Hermann/Ruben, 2010.
Hasdaï Crescas est né à Barcelone, aux environs de 1340, dans une famille d’érudits juifs espagnols. Il reçut une formation de premier plan, à la fois talmudique et philosophique, sous la direction de divers maîtres, dont Rabbénou Nissim Gerondi lui-même disciple de Nahmanide. Il devint assez vite une autorité talmudique reconnue en Espagne, un enseignant et un philosophe de la pensée grecque et arabe. En 1378 il était l’un des dirigeants de la communauté juive de Barcelone. Mais, en dépit de quelques appuis dans la communauté non juive, il subit le même sort que beaucoup de ses coreligionnaires au fur et à mesure que se perpétraient les persécutions dans l’Espagne chrétienne.


Son œuvre écrite se résume essentiellement à trois textes :
Le premier texte, écrit en espagnol en 1398, est traduit en hébreu sous le titre Séfère bitoul ‘Iqaré Hanosrim/Réfutation des principes du christianisme.
Le second texte, écrit en hébreu, s’intitule Drashate ha-Pessa’h/Exposé sur la Pâque Juive. Le troisième, Or Hachem/Lumière de l’Éternel, est le plus important. Il a été écrit en hébreu au cours des années 1405-1410. C’est dans un contexte de persécutions religieuses que l’ouvrage voit le jour. Les polémiques inter-religieuses avec les autorités chrétiennes, puis les vagues de conversions massives, ont conduit à la résurgence d’un genre littéraire, dont Maïmonide avait été l’un des précurseurs, à savoir la recherche des principes du judaïsme.

Les porteurs de feu par Didier Mansuy, Editions Orizons Daniel Cohen, 2012, 196 p
Il commence en 1840 : l’Algérie est libérée du joug turc. Le mythe de « La Taferka aux Aferkiw »,« L’Afrique aux Africains », qu’avaient voulu les premiers rois numides, était fort loin. Qu’allait-il advenir de cette petite bande de terre côtière à la croisée des chemins, entre sortie du désert et Méditerranée, tradition et progrès du commerce, révolution culturelle et immobilisme par lequel, écrivait Nerval, « la société est dans les langes et l’indépendance humaine en tutelle » ?

À travers la vie de Sainte Paule Mansuy, venue à Philippeville (Skikda) pour aider les pauvres et les malheureux, et pour apporter tout son amour, un lien avec la France s’ancre. Un lien fort et sentimental naît, s’articule, devient indéfectible et tragique aussi, quand bien même les différences et les incompréhensions auraient raison de tout. Didier Mansuy nous guide dans les victoires que le petit Mansour, héros fier et fils spirituel, se doit de remporter pour transmettre la mémoire de l’œuvre amorcée par la Sainte et prolonger la tradition avec l’espoir de faire grandir l’amour. Mansour, puis Sofiane, par leur filiation, nous invitent à être témoins de leur destin, nonobstant les préjugés, sur le chemin du partage et de l’intelligence. On est loin de ce que Macron appelle « crime contre l’humanité ». On sait ce qu’il en adviendra un siècle plus tard.
Didier Mansuy est l’arrière petit-neveu de Sœur Paule Mansuy.

Fille de métèque, par Pia Moustaki Editions Plon, 2019, 208 p

« Je suis fille de Georges, métèque, grec, né à Alexandrie et de Yanick, bretonne… Issue de ces deux berceaux différents, rencontre de l’Occident et de l’Orient. Remonter le fil jusqu’à mes grands-parents. Dresser leurs portraits, l’histoire familiale, ses anecdotes. Revenir à la source, mes racines et bout à bout, pièce après pièce, reconstituer le puzzle… Témoigner sur la joie mais aussi la difficulté de grandir auprès de parents hors-norme, tous deux artistes et bien jeunes à ma naissance. Surtout lorsque l’image publique est forte et la notoriété vive. J’ai ressenti le manque, la solitude, l’absence mais j’ai aussi aiguisé, précoce, une force d’adaptation, un esprit audacieux et rebelle. J’ai pris au lasso les moments de bonheur, de tendresse et de complicité partagés. Auprès de mon père globe trotteur et de ma mère poétesse, les rencontres ont étés magnifiques. Elles ont laissé leurs empreintes, leurs influences. Parmi elles, Edith Piaf qui m’offre ma première guitare, Paco Ibañez, Jacques Higelin, Renaud, Barbara, Jeanne Moreau, Josiane Balasko, Vinicius de Moraes, Caetano Veloso, Pierre Richard, Diane Dufresne, Catherine et Maxime Le Forestier, Albert Cossery … »

La lente découverte de l’étrangeté, par Victor Teboul Editions Intouchables, Montréal, 2002, 177 p
Encore une autobiographie ! Né à Alexandrie en 1945, Victor parlait français à la maison, fréquentait l’école anglaise, baignait dans la langue arabe que son père maîtrisait très bien, alors que sa mère discutait en grec. Quand la guerre de Suez éclate, en 1956, ses parents sont incapables de répondre aux nouvelles exigences des autorités égyptiennes qui réclament la preuve que leurs ancêtres sont établis dans le pays depuis 1849. La famille est expulsée et forcée de laisser derrière elle ce qu’elle possédait sur cette terre qui, tout à coup, se révèle ne jamais lui avoir appartenu.


C’est le début d’un long périple qui les mènera en France puis en 1963 au Québec. C’est en même temps, pour le petit Victor de 11 ans, « la lente découverte de l’étrangeté », expression qui donne le titre à ce roman où il relate cette expérience fondatrice de son identité riche et complexe.

Victor est docteur ès lettres de Montréal. Il a fondé le web magazine Tolerance.ca. Il a écrit de nombreux livres depuisMythe et images du Juif au Québec (1977) jusqu’à Les Juifs du Québec : In Canada We Trust (2016). La lente découverte de l’étrangeté n’est pas récent mais reste très actuel à notre époque où on a trop tendance à oublier les tristes évènements du siècle dernier.

Recensions faites par Hubert Lévy-Lambert