A Montreuil-Bellay, un camp tsigane tombé dans l’oubli Par Nicolas de La Casinière

mercredi 29 juillet 2020


A Montreuil-Bellay, un camp tsigane tombé dans l’oubli
Par Nicolas de La Casinière — 26 avril 2004 à 00:21

Piètre hommage aux « indésirables » internés de 1940 à 1946.
• A Montreuil-Bellay, un camp tsigane tombé dans l’oubli
Montreuil-Bellay, envoyé spécial.
Debout. Devant les officiels, sur le toit de la prison à demi enterrée du camp, Jean-Louis Bauer est ému. Aujourd’hui président de l’association des victimes tsiganes de l’internement et de la déportation, il a passé cinq ans de son enfance enfermé avec sa famille, ici et dans d’autres camps de l’Ouest. Sans la moindre condamnation. Son seul crime : être tsigane. « Je n’ai jamais su pourquoi on a mérité les barbelés, le froid et cette nourriture infecte, dit-il. Tant que je pourrai venir, je viendrai. Jacques Chirac a reconnu la responsabilité de la France, mais pour les juifs, pas pour nous. Nous sommes toujours les oubliés de l’histoire. »
Pitoyable. De l’ancien camp de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire), entre la nationale et la voie ferrée, il ne reste que les fondations des murs des baraques, quelques marches et le caveau-prison. Avant-hier, pour la Journée nationale de la déportation tsigane, les officiels et les porte-drapeaux étaient ceinturés par une clôture électrique à bestiaux. En temps ordinaire, les vestiges de l’ancien camp de concentration sont en effet broutés par des moutons. Pour la cérémonie, le fermier les a exceptionnellement éloignés du champ bosselé où, il y a soixante ans, l’administration française a parqué des centaines de Tsiganes. Les premières arrestations des « indésirables » datent de janvier 1940, avant l’Occupation. Puis Vichy confirma la politique d’enfermement.
La cérémonie est un peu pitoyable. La fanfare municipale joue comme elle peut. Un sportif en survêtement empoigne la « flamme du souvenir », censée aller rejoindre le mémorial des martyrs de la déportation à Drancy, mais, après cinquante mètres en foulées sur la nationale, il s’arrête, éteint la flamme et revient discuter avec un gendarme. Le sous-préfet parle bien d’ « infamie, de persécutions raciales et d’internements arbitraires », mais il ne met en avant que « la politique ségrégationniste du régime de Vichy ». Oubliant au passage le décret d’avril 1940, pris par le président Albert Lebrun, interdisant « en période de guerre la circulation des nomades, individus errants, généralement sans domicile, ni patrie, ni profession effective ». Le sous-préfet oublie aussi que les derniers camps français où ont été parqués des Tsiganes n’ont été fermés qu’en 1946. Des mois après la Libération.
Déshérence. « C’est toujours un tabou », dit Julien Schultz, venu pour la première fois à Montreuil-Bellay. Enfant de l’Assistance, il a appris l’an dernier que ses parents ont été enfermés ici. Vendredi, aux archives à Angers, il a découvert qu’un de ses frères est mort dans ce camp en septembre 1942. De faim ou de froid, couvert de vermine, comme la plupart de ceux qui ont trouvé la mort derrière les deux rangs de barbelés électrifiés et les deux miradors. Pour les villageois du bourg, c’était alors un but de promenade. Comme on vient voir des animaux en cage.
A partir de juin 1940, l’ancien dépôt de poudre, construit par des républicains espagnols, est vite devenu stalag allemand pour les prisonniers de toutes nationalités. Puis, un an plus tard, pour les premiers Tsiganes regroupés à partir d’autres camps plus petits. Pendant quatre ans, entre 500 et 1 000 Tsiganes, tous français, seront en permanence à Montreuil-Bellay, mêlés à quelques clochards raflés à Nantes et à des marchands forains. Comme les autres centres de rétention des nomades français, le camp n’a pas fourni de prisonniers aux camps d’extermination en Allemagne.
Aujourd’hui, Montreuil-Bellay est un lieu de mémoire en déshérence. Il a fallu quatre ans pour obtenir, en 1988, une modeste stèle (1). « La mairie n’a pas racheté le terrain qui était en vente au franc symbolique, dit Jean-Louis Bauer. Je voudrais un vrai monument. Avant de mourir. »
(1) Financée notamment par Jacques Sigot, auteur de Ces barbelés oubliés par l’histoire (Ed. Cheminements, 1994).
Nicolas de La Casinière