UN MONSTRE ET UN CHAOS

mardi 21 avril 2020


 


UN MONSTRE ET UN CHAOS


Hubert Haddad. Editions Zulma 2019


L’auteur:Hubert Haddad est un écrivain, poète, essayiste, historien d’art né en 1947. Il a fondé de nombreuses revues littéraires et a à son actif une oeuvre abondante et de nombreux prix.


 « Un monstre et un chaos » c’est ce que devient l’homme lorsque le principe d’humanité est remplacé par la barbarie. C’est ce que les nazis vont infliger à l’Europe et que l’auteur va donner à vérifier en prenant le cas de la Pologne et du ghetto de Lodz.


 Comment rendre compte, comment restituer le calvaire, le drame épouvantable qu’a constitué la Shoah, l’anéantissement systématique de populations et d’un monde, celui du Yiddisland ?


L’auteur y répond par la fiction. La fiction afin de rendre supportable, lisible jusqu’au bout et donc transmissible la mécanique implacable nazie.


 Hubert Hadad nous attache à la destinée d’un jeune garçon d’une dizaine d’année, Alter. Orphelin il est recueilli avec son frère jumeau Ariel par un oncle forgeron lui même revenu de la grande guerre marqué à jamais. Ils vivent pauvrement dans un village , le schtetl de Mirlek, avec son lot de souffrance et d’insécurité lorsque, dès septembre 1939, commencent les intrusions de la Wermacht . Alter assiste au massacre de son village, à la mort atroce de son frère et de sa famille mais il réussi à s’enfuir.


Son errance solitaire à travers la Pologne, le conduit au gré du hasard à des aventures et à des rencontres qui vont orienter son destin. C’est d’abord un prêtre qu’il trouve sur son chemin et qui le confie à un orphelinat catholique sous un nouveau nom, Jan Marthenza. Mais le répit est de courte durée. Le professeur de chant de l’institution sentant l’étau se resserrer pour lui même et son protégé, il faut à nouveau fuir. En route vers Lodz devenue Litzmannsdat, le piège se referme. Alter est prisonnier du ghetto où il va tenter de survivre . Ce ghetto, le premier à être crée et le dernier à subsister, est dirigé par un personnage ambigu qui a réellement existé, Haim Rumkowski, dont le pari est d’échanger la force de travail de la population juive contre sa survie. Il transforme le ghetto, où vont être entassées 160.000 personnes, en un immense atelier textile au service du Reich dans des conditions d’esclavage. Il le dirige d’une main de fer réprimant toute tentative de résistance. La « stratégie » de Rumkowski, monstre au service des monstres, est évidement vouée à l’échec, le ghetto où la faim, les maladies, les déportations périodiques ont régné est liquidé en 44.


 Qu’est devenu notre petit Alter ? Il s’est réfugié dans un théâtre clandestin au fond d’une cave, où il devient marionnettiste . Il fabrique un personnage, son double, son jumeau, qu’il fait ainsi revivre mais à qui il donne son nom, Alter. La marionnette représente « Alter » et lui Alter, qui tient les ficelles, devient Ariel son jumeau assassiné . Il sort alors de son mutisme et exprime toute sa révolte. Identité retrouvée, identité croisée, identité troublée et seul indice du traumatisme vécu par cet enfant alors que le drame s’achemine vers la fin. En effet, l’auteur a rarement donné la parole à Alter. Alter, tout le long du livre n’est qu’un regard comme absent à lui même. Il ne dit pas un mot, pas une plainte. Cette absence délibérée de pathos rend le récit bouleversant grâce au talent de l’auteur qui conduit le lecteur à voir et ressentir par lui-même et à s’identifier à Alter dans ce voyage au bout de l’enfer. Alter comme altérité…


Ce livre a une très haute valeur littéraire, il est magistralement écrit et, malgré l’histoire bouleversante et dramatique, on ne le lache pas. C’est un livre instructif, édifiant, puissant qui fait oeuvre de mémoire dans la mesure ou la fiction s’intègre dans une réalité historique extrêmement bien documentée. La puissance narrative et descriptive de l’auteur qui s’est inspiré pour évoquer en particulier les conditions de vie dans le ghetto, des photos de Henryk Ross donne toute sa force au roman. La reproduction du terrible discours de Rumkowski exhortant les parents à livrer leurs enfants ramène à la perversité machiavélique du système nazi. Mais Hubert Haddad montre aussi la force de l’espoir et la résistance de l’esprit « même dans les situations les plus tragiques on continue à rêver » Nietzsche


recension faite par Nicole Agou