Le temps des orphelins. La Shoah vue à travers les yeux d’un aumônier juif américain

mardi 7 janvier 2020


Le temps des orphelins de Laurent SAGALOVITSCH


éditions Buchet Chastel 2019


La Shoah vue à travers les yeux d’un aumônier juif américain


En 1944, Daniel, un jeune rabbin américain, s’engage comme aumônier auprès des troupes alliées qui débarquent en Europe lors de la seconde guerre mondiale. De la Normandie au coeur du Reich, il est confronté aux horreurs des champs de batailles où il prodigue aux morts les prières d’usage. Il est cependant loin d’imaginer ce qui l’attend en arrivant en Allemagne. La libération par les américains des premiers camps de concentration et d’extermination , ceux de Ohrdruf et de Buchenwald non loin de Weimar en avril 1945, le met face à la barbarie absolue et l’ébranle dans son être et dans sa foi. Ce qu’il découvre, la réalité et la matérialité de la Shoah dans sa crudité est une épreuve sensorielle et émotionnelle qui va le marquer à jamais.


Ce livre n’est pas une autobiographie, ce n’est pas le témoignage d’un survivant ou d’un témoin ( l’auteur né en 1967 est un écrivain et un blogueur franco-canadien ) c’est un roman, mais nourri, imprégné d’une documentation obsessionnelle sur la Shoah qui lui permet de s’identifier à son personnage, de voir à travers lui, d’exprimer tous ses sentiments et émotions. Le talent de l’auteur c’est de conduire le lecteur à s’identifier lui aussi avec le narrateur, à nous faire ressentir la violence qu’il prend de plein fouet sur le plan humain , à vivre avec lui le doute qui s’installe sur sa mission sur sa foi. Son impuissance , son désarroi, sa honte face aux survivants qui n’ont que faire de ses prières, du secours de ses paroles et pour qui seule une aide pour retrouver leurs famille importe. Ces survivants dont il sait que que la libération des camps ne met pas fin à leur calvaire, beaucoup vont encore mourir de maladie, d’épuisement et de désespoir.


C’est alors que surgit dans le récit un petit enfant égaré au milieu de cet enfer . Il est squelettique, mutique mais s’accroche au rabbin qui comprend qu’en lui promettant de se mettre en quête de retrouver ses parents il va pouvoir lui même retrouver le chemin des vivants.


Le récit intègre également la correspondance échangée avec Ethel l’épouse de Daniel. Elle permet à l’auteur de mettre en parallèle deux univers incommunicables. et de renforcer le contraste , l’abime entre ce que vit Daniel et la normalité du quotidien de sa femme outre atlantique.


Ce livre, d’une très bonne qualité littéraire : une écriture fluide, élégante, sensible ; une construction habile, un intérêt qui ne faiblit pas. C’est un livre très riche par le nombre de questions qu’il soulève.L’angle d’approche original , celui d’un religieux interroge le « silence de D. », et la foi à l’épreuve du mal. Il montre aussi la place centrale qu’occupe la Shoah dans la conscience même de ceux qui ne l’ont pas vécue personnellement. Il y a un avant et un après Shoah. Légitime t’elle par là le besoin de l’exorciser par la fiction ?Quand la documentation est sérieuse elle incite à la réflexion et peut contribuer à sa manière à interroger « le coeur des hommes juifs ou non » 


Une petite frustration cependant le livre s’arrête sans qu’on en sache davantage sur le petit enfant. Pourtant le livre lui doit son titre et l’illustration de la couverture est un dessin d’un jeune rescapé Tomas Geve.


Dans la noirceur de cette tragédie il est le symbole de la pérennité et de l’espérance malgré les épreuves.


Recension faite par Nicole Agou