Journées Européennes de la culture et du patrimoine juifs

dimanche 15 septembre 2019
par  Renée Dray-Bensousan

Une elève de terminale témoigne


Journées Européennes de la culture et du patrimoine juifs


Innover et transmettre
par Ella Marciano,
une élève de terminale
Dans une lettre qu’il adresse à son petit-fils, Umberto Eco, écrivain italien, écrit " IL y a aussi une mémoire historique, celle qui concerne ce qui est arrivé avant que tu viennes au monde, et tes amis qui n’ont pas cultivé la mémoire du passé auront juste une vie : la leur"
Des années avant ma naissance, a eu lieu un génocide qui a conduit a l’extermination de 6 millions de juifs. Alors qu’il ne reste que peu de survivants comment raconter aux jeunes générations la Shoah, peut-on innover en exploitant un nouvel outil de communication : Instagram
Instagram est un réseau social qui permet d’éditer et de partager des publications depuis notre Smartphone. Chaque utilisateur possède une page dans laquelle il va pouvoir afficher des photos et des vidéos. Le but premier est de partager des moments avec nos proches à travers le monde via le réseau. Il est possible également d’utiliser des hashtags (symbolisé par un dièse) qui permettent à n’importe quel utilisateur de voir la publication en effectuant une recherche par ce motif. Instagram a récemment mis au point les Stories, une fonctionnalité qui permet de diffuser des photos ou vidéos de manière plus spontanée car elles sont prises à l’instant T. De plus il s’agit de publications éphémères car elles sont visibles seulement pendant 24 h.Ainsi Instagram permet de suivre un utilisateur par l’intermédiaire de ses photos ou de ses stories
L’agence de communication Léo Burnett s’est interrogée" et si une jeune fille avait eu Instagram pendant la Shoah ? Ainsi est né "Eva Stories" basé sur l’histoire vraie d’Eva Herman. Eva âgée de 13 ans, vit à Oradéa en Transylvanie, (Roumanie actuelle), elle a écrit un "petit journal "de février à juin 44. Déportée aves ses grands-parents à Auschwitz elle remettra à leur cuisinière son journal. Sa mère échappera à la déportation et récupèrera le journal après la guerre. Elle le fera publier en hongrois en 1946 avant de se suicider. Ce journal sera publié en hébreu en 1974 à l’initiative de Yad Vachem et en français en 2013.
Ainsi le projet Eva Stories fut réalisé, en anglais sous-titré en hébreu par l’agence Burnett en Israël et porté par un magnat de la High Tech Matty Kohavi et sa fille Maya.
Eva a 13 ans, elle vit en 1944 mais elle a un smartphone et un compte Instagram. Un anachronisme qui permet de suivre le quotidien d’une adolescente juive roumaine dans son environnement familier. Eva documente en temps réel sa vie sur Instagram, elle raconte à la forme personnelle "je" en format stories par des vidéos de 15 secondes et qui se suivent les unes les autres. Son quotidien est découpé en 70 épisodes postés en story progressivement toutes les 30 minutes pendant 24 Heures.
Elle se filme en selfie, à l’école, avec son copain Pista, sa cousine, ses amies, sa famille, comme un grand nombre d’adolescentes en 2019. Elle ajoute des émojis cœurs. Dans sa vie tout va bien, issue de la haute bourgeoisie elle ne manque de rien, elle est heureuse. Et puis sa vie bascule…C’est le port de l’étoile jaune, les restrictions, la peur.


Le 19 avril 1944, Eva filme la cour de son immeuble, des nazis envahissent les appartements, jettent les vêtements les meubles par les fenêtres, molestent une femme, ce sont des scènes horribles.
Le 15 mai c’est le départ forcé dans le ghetto où elle vivra avec ses grands-parents jusqu’au 6 juin, jour de sa déportation. Elle filme l’arrivée à la gare, les SS et les chiens qui aboient, les gens entassés dans les wagons du train à bétail qui part pour Auschwitz. Et puis une image noire accompagnée du bruit des prières et du train qui part... Elle meurt le 1er octobre dans une chambre à gaz.
Le rythme de publication est rapide, les images se bousculent, tout ceci pour permettre de réaliser combien la violence s’accentue d’une seconde à l’autre, comment se passe l’escalade dans l’horreur.


Quelle a été la portée de cette expérience ?
La première publication est déposée le 2 mai 2019, jour de commémoration de la Shoah en Israël A mesure que l’histoire se dévoile, on ressent qu’un engouement se crée, Le concept d’Eva stories est pertinent il a permis de toucher les jeunes dont la majorité utilise ce réseau. En effet en 3 jours 1,6 millions de personnes se sont abonnées au compte d’Eva, rappelons que selon Global Web index, 41% des utilisateurs d’Instagram ont entre 16 et 24 ans. Enfin la bande annonce a été vue plus de 4 millions de fois.
La mise en place des stories m’a permis de réaliser l’intensité des oppressions nazies pendant la shoah, les images choquantes m’ont sensibilisée et m’ont fait prendre conscience de l’ampleur de cette tragédie humaine. En effet l’enseignement au lycée de la seconde guerre mondiale, et plus précisément, du génocide juif, ne permet pas, à nous, jeunes de nous rendre compte de l’horreur de la vie au quotidien dans les Ghettos après la mise en place des lois antijuives en Europe et du sort inhumain réservé aux personnes dans les camps.
Pourra-t-on renouveler ce concept en 2020 sachant que cinq millions de dollars ont été investis dans ce projet et que plus de 400 techniciens et acteurs y ont travaillé. Il est évident que si le compte est toujours actif, il est possible de donner toujours de la visibilité à ce projet. Enfin il restera toujours l’oportunité de lire le journal d’Eva publié par les éditions Syrtes sous le titre " J’ai vécu si peu : journal du ghetto d’Oradea"(16 euros) préfacé par Carol Iancu, mais combien de jeunes l’ont lu ou le liront ?