L’enfant Juif de Varsovie. Histoire d’une photographie,

mercredi 27 octobre 2010
par  Renée Dray-Bensousan

Frédéric Rousseau, L’enfant Juif de Varsovie. Histoire d’une photographie, Seuil,Paris, 2009 265 p, Index, Bibliographie, Photographies, 21E

Frédéric Rousseau est professeur d’histoire contemporaine à l’université Paul-Valéry de Montpellier. On se souvient des débats passionnés qui l’ont opposé à Annette Becker et Stéphane Audoin-Rouzeau à propos de la Première Guerre mondiale. On lui doit beaucoup d’ouvrages de référence sur cette dernière période. Mais voici que dans cet ouvrage il aborde deux aspects neufs de son œuvre : la période de la Seconde Guerre mondiale et le rapport de l’histoire et de l’image, à travers l’histoire de la photographie de ce petit juif du Ghetto de Varsovie bras levés devant un soldat Allemand qui le met en joue, qui a bouleversé tant de générations. Fréquemment reproduite cette image a transformé son protagoniste en « icône » de la Shoah.

Une icône

L’enfant à casquette et en culotte courte a les bras levés. Un soldat allemand pointe son fusil sur lui, sous le regard inquiet d’une femme aux mains également en l’air. Le cadrage donne à voir un groupe de Juifs qui se déplacent sous la menace des armes nazies. Mais le regard se porte d’autant plus naturellement sur l’enfant que c’est justement lui que tous les soldats semblent regarder. L’image du petit garçon de Varsovie avait ainsi été évoquée par Philippe Mesnard comme l’un des principaux stéréotypes iconographiques de la destruction des Juifs d’Europe dans le cadre d’une exposition qu’il avait présentée fin 2005 au Centre d’histoire de la résistance et de la déportation de Lyon (« Le temps des victimes. La représentation contemporaine des victimes »). On y voyait des usages multiples de cette figure emblématique de la Shoah, y compris une affiche du métro parisien qui annonçait un concert de rock.
Le recours répétitif à l’image du petit garçon juif marque une volonté constante de susciter de l’émotion, de la compassion, peut-être de la pitié. De ce point de vue, c’est bien une icône de la dénonciation de la barbarie nazie, tellement barbare qu’elle s’en prend à cette petite victime aussi innocente qu’inoffensive. C’est aussi un emblème des souffrances humaines, concernant massivement des civils, qui ont traversé tout le XXe siècle, provoquées par des processus criminels qui relèvent malheureusement de ce que l’homme peut faire à l’homme. Le regard des soldats nazis sur le garçonnet est là pour nous le rappeler.

Histoire de cette image
Frédéric Rousseau reconstruit l’histoire non pas seulement de ce petit garçon juif, mais aussi et surtout celle de cette photographie. À l’origine, ce cliché est pris, avec d’autres, par les nazis eux-mêmes au moment de la répression de l’insurrection juive du ghetto de Varsovie en avril-mai 1943. L’intention est de constituer un album (« l’album Stroop », du nom du général chef de la SS et de la police du district de Varsovie) vantant à Himmler les hauts faits de la SS dans sa lutte contre les « bandits juifs ». Cette image se trouvait en effet parmi une cinquantaine d’autres dans les pages d’un rapport nazi établi par le général Jürgen Stroop, qui, après une liste nominative de nazis tombés au combat,  et après un récit des faits de la répression de l’insurrection juive du ghetto de Varsovie au printemps 1943 avec la reproduction, pour l’attester, d’une série de télégrammes, clôt son rapport par un album de photographies. Dans le contexte de ce document terrifiant, l’enfant juif ne devait donc pas susciter notre compassion, mais c’est au contraire l’action dévouée de ces soldats sanguinaires qui aurait dû susciter notre admiration (sic).

Mais comme souvent à propos des images prises par les nazis, leur vision est subvertie par la notre.

Fiche de lecture de Renée Dray-Bensousan