J’ai pas pleuré
Auteurs : Ida Grinspan et Bertrand Poirot-Delpech
Titre : J’ai pas pleuré
Paris, Presse Pocket, collection Jeunes Adultes (à partir de quinze ans), 2003, 190 pages, chronologie, préface et postface de l’éditeur ; première édition : Robert Laffont, 2002
Ida Grinspan rencontre le journaliste Bertrand Poirot-Delpech en 1988, alors qu’il couvre pour Le Monde un voyage à Auschwitz-Birkenau. Elle revient pour la première fois dans ce camp d’extermination. Plus tard germe l’idée d’un livre, pour raconter, ne pas oublier que cela fut…Avec Bertrand Poirot-Delpech, elle raconte le mal, sans pathos ni fioriture. Simplement. L’ouvrage est facile à lire même pour des collégiens. Il est à la fois clair et précis, n’occulte rien mais n’a pas non plus la dureté bouleversante d’autres témoignages.
Il y a presque soixante ans, Ida, qui s’appelle alors Fensterszab, française, de parents Juifs polonais, a quatorze ans lorsque le 31 janvier 1944, trois gendarmes viennent l’arrêter dans le petit village de Lié, dans les Deux-Sèvres. Ses parents avaient préféré l’y laisser pour la protéger des rigueurs de la guerre. En 1940, il n’était pas encore question de persécutions anti-juives. Quel danger représentait cette enfant juive pour qu’on dépêchât trois représentants de la force publique afin de l’arrêter ? Comme d’autres, elle se retrouve à Drancy, persuadée qu’elle retrouvera sa mère. Elle s’accroche à cet espoir, comme d’autres, leurrés, et convaincus de l’existence de camps de travail familiaux…Mais Mme Fensterszab, arrêtée le 16 juillet 1942 lors de l’opération « Vent Printanier » n’est plus. Ses cendres ont été emportées par le vent de
Elle passe. Toujours habitée par l’espoir de retrouver cette mère aimée, mais qui est au Himmelkommando, le kommando du ciel. Elle l’apprendra, plus tard.
Après, passage au sauna, le déshabillage, humiliant, la tonte, humiliante, le tatouage, humiliant, qui la dépouille de son nom et fait d’elle le matricule 75360 : fünf und siebzig tausend drei hundertsechzig. Chapitre après chapitre, simplement, elle raconte : la baraque, les chefs de block, l’appel, les kommandos, qui vous tuent (les marais, les pierres) ou vous préservent (le Kanada, l’usine), les sélections, dont on n’est jamais à l’abri. Dans cet enfer permanent, la chance, l’espoir, la volonté, le moral insufflés par les autres aident à tenir. Le courage, l’insolence de la jeunesse pour braver les interdits et aller se laver en pleine nuit, à l’eau glacée. Un peu d’hygiène pour rester digne et tenter de se préserver des maladies. Quelques boutons, la gale, une mauvaise allure mènent vite « au gaz »…Le père d’Ida est déporté le 31 juillet 1944, alors que le débarquement a déjà eu lieu. Le camp le sait grâce aux nouvelles arrivées. Elle ne reverra pas son père. Elle survit à la marche de la mort, qui décime la moitié des déportés que les Nazis évacuent du camp. Arrivée à Ravensbrück, puis à Neustadtglewe, Ida est aux portes de la mort. Ses pieds ont gelé pendant la marche de la mort, elle a contracté le typhus. Elle raconte avec émotion comment une Polonaise, Wanda, qu’elle essaiera de retrouver après la guerre, lui sauva la vie. Ida, libérée par les soldats alliés, est rapatriée en France, où elle ne retrouve que son frère. Que faire, comme les autres adolescents dont la vie fut saccagée par la déportation. Réapprendre à vivre. Après Auschwitz mais avec Auschwitz.
Mais aussi parler. Mettre des mots sur l’inimaginable pour le rendre dicible. Raconter la mort, le courage et les rébellions face à la barbarie. Comme d’autres déportées, dont Suzanne Birnbaum, qui avait témoigné en 1945, dans un livre réédité par l’amicale d’Auschwitz, avec le soutien de
Aujourd’hui, il est impossible de ne pas savoir. Merci à celles et ceux qui viennent voir nos élèves, pour compléter nos cours et tenter de leur faire comprendre, sans les traumatiser, les conséquences de la tentation totalitaire. Merci Ida. Merci Bertrand, qui prit la plume, en souvenir de son ami du lycée Louis le Grand, Youra Riskine, assassiné à Birkenau.