Petite histoire d’Albert Marcelin et Jacques...

vendredi 14 octobre 2022


Petite histoire d’Albert Marcelin et Jacques Lippmann
Albert Marcelin, né à Apt le 31 juillet 1913, est l’enfant unique de Marie Clément et Joanny Marcelin, bourrelier à Apt. Albert prend la suite de son père, en tant que bourrelier sellier, une grande partie du travail consiste à fabriquer et entretenir des colliers et harnachements de chevaux. Albert est mobilisé en septembre 1939, affecté au 94ème RAM (Régiment d’Artillerie de Montagne), comme bourrelier de la 5ème batterie, il arrive à Puget-sur-Argens le 4 septembre 1939.
Jacques Lippmann, né à Nice le 21 avril 1915, est le fils ainé de Renée Abraham-Félix et Jean Lippmann, huissier de justice à Nice, il a deux frères (Pierre et Claude) et une soeur (Eva). Son père, Jean, fréquente les huiles locales (dont le député maire Jean Médecin) et la famille mène la belle vie, mondanités, voyages, culture… avec une passion particulière pour l’Autriche et la langue allemande. D’origine juive, la famille est complètement assimilée et rien ne la distingue des autres familles françaises dans ses pratiques au quotidien. Sorti de l’école des sous-officiers de Saint Maixent en septembre 1938, Jacques est mobilisé un an plus tard, affecté au 94ème RAM en tant que lieutenant de la 5ème batterie, il arrive le 4 septembre 1939 à Puget-sur-Argens. Dans une lettre à sa mère, datée de ce jour-là, il précise qu’il a rejoint les autres officiers de la batterie : un capitaine et un lieutenant.
Jacques est donc un des officiers d’Albert et le courant semble bien passer entre les deux hommes car, dans une lettre à son épouse, écrite de Touët-sur-Var le 29 septembre 1939, Albert écrit ceci :
« Je viens d’aller à Puget Théniers avec le lieutenant pour acheter du cuir à la tannerie et c’était tout réquisitionné, sauf du porc, et j’ai choisi deux peaux pour faire des sacoches. Nous sommes allés chez le bourrelier pour acheter de la bouclerie, après nous sommes allés boire un bock au café, je suis allé faire les commissions pour des collègues, nous avons une traction avant Citroën, on ne se sent pas filer. Comme ce lieutenant est jeune ça faisait l’effet de deux copains en balade. »
On trouve d’autres références à Jacques dans le courrier d’Albert à son épouse :
Dans une lettre du 3 novembre 1939 (N.B. Le lieu précis n’est pas connu mais le contexte indique qu’ils sont toujours sur la Côte d’Azur et qu’ils voient la mer au loin) :
« Aujourd’hui matin j’ai travaillé, j’ai reclouté les chaussures du lieutenant avec qui j’étais allé chercher du cuir, Lippmann, j’ai réparé les talons, enfin je commence à faire un bon cordonnier…  »
Dans une lettre du 27 novembre 1939, envoyée de Jussecourt-Minecourt (Marne) où ils sont arrivés le 16 novembre, après avoir quitté la Côte d’Azur le 12 novembre pour prendre le train :
« Aujourd’hui le lieutenant m’a fait appeler, il m’a remis un modèle de porte-cartes fait pour son père pendant l’autre guerre par un bourrelier, et je lui ai dit : l’histoire recommence, mon père était bourrelier, son père était lieutenant, il y est d’ailleurs encore… » (NDLR Référence à Jean, le père de Jacques).
Dans une lettre du 3 décembre 1939, envoyée de Jussecourt-Minecourt :
« Je suis allé dessiner les menus dont je te parle (NDLR Albert parle, dans sa lettre précédente, de menus pour le repas de la Ste Barbe, que des officiers lui ont demandé de dessiner), je n’ai pour ainsi dire plus qu’à les peindre, je crois qu’ils me feront participer au repas, au fond je m’en fous et j’aime autant être avec mes collèges pour fêter demain la Ste Barbe, patronne des artilleurs, pompiers et sapeurs. J’en ai peint un et ça ira très bien. Le lieutenant qui commande la batterie m’a dit : "je ne vous connaissais pas ce talent", aussi si je lui ai fait de belles sacoches et de jolis porte-cartes il ne doit plus être étonné… »
N.B. Jacques a particulièrement apprécié ce repas de la Ste Barbe 1939, il en parle dans une lettre à sa mère, le 5 décembre, dans laquelle il détaille l’énorme festin et la cuite qu’il a prise à l’Etat-major du groupe qui l’a invité !…
Dans une lettre du 3 janvier 1940, envoyée de Jussecourt-Minecourt :
«  Le lieutenant que nous appelons la mère est venu me voir et je lui ai dit que j’avais beaucoup trop de travail et que beaucoup m’apportaient des chaussures brulées et que je ne pouvais pas toutes les réparer, il m’a dit qu’il allait s’occuper de me trouver quelqu’un. Lippmann, que tu avais vu à Touët1, devait me trouver quelqu’un aussi, mais il ne s’en occupe plus dès qu’il a tourné les talons, j’aurai peut-être un peu plus de chance avec l’autre. Nos trois lieutenants nous les appelons, celui qui fait fonction de capitaine, le père, le deuxième la mère, le 3ème plus petit et sous-lieutenant, le petit ou le fils, quand je t’en parlerai je les appellerai par ces noms. » (NDLR Jacques est vraisemblablement ce dernier).
Dans une lettre du 7 janvier 1940, envoyée de Jussecourt-Minecourt :
« Aujourd’hui j’ai été appelé par le lieutenant, il fallait désigner un bourrelier pour aller coudre des bâches, pour rester en subsistance quelques jours où se trouve le travail à faire, c’est dans la région, c’est Nicolas d’Alès qui ira. J’aurais voulu y aller, mais le lieutenant m’a dit « toi, je te garde, c’est entendu on envoie Nicolas », j’ai compris qu’il avait simplement voulu mon avis. » et un peu plus loin dans la même lettre : « … si le lieutenant m’a dit qu’il me gardait c’est qu’il a confiance en moi.
 » (NDLR On peut supposer que le lieutenant mentionné ici est bien Jacques, mais ce n’est pas certain à cent pour cent, d’autant qu’Albert n’emploie pas la nomenclature qu’il avait explicitée dans son courrier du 3 janvier 1940 pour distinguer les différents lieutenants.)
Dans une lettre du 11 mars 1940, envoyée de Théding (en Moselle, 5 km au sud de Forbach) au plus près du front (la batterie a quitté la Marne le 18 janvier 1940 pour aller en train jusqu’en Moselle) :
« Nous avons demandé au lieutenant (le père) la permission d’aller tous les 8 de la pièce jusqu’au poste d’observation, qui est à 3 km d’ici et nous avons bien fait, tu verras plus loin pourquoi, à l’aller tout s’est bien passé, nous avons vu les tombes de 2 aviateurs tombés avec le bombardier le 3/3/1940, je t’en avais parlé. Nous avons vu le guet (poste d’observation de nuit) puis de là nous sommes allés par un chemin camouflé jusqu’au poste d’observation de jour. Là nous avons vu le lieutenant (le petit)2 et avec des jumelles et la bino lunettes spéciales, nous avons regardé le no man’s land, vu les villages où sont les fridolins (NDLR Albert a écrit frigolins dans sa lettre) et ceux où sont les français, à vol d’oiseau nous étions à 1500 mètres de nos voisins, nous y sommes restés au moins 20 minutes, il est vrai que c’était bien tranquille et on ne voit rien bouger, pas un bruit pas une fumée. Autant d’un côté que de l’autre… Au retour, tout s’est bien passé, pour raccourcir nous avons passé à travers bois, descendu un vallon et remonté, puis nous nous sommes arrêtés dans un pré pour voir des avions, une douzaine, qui devaient livrer combat et même nous avons vu aussi les éclatements d’obus de la DCA , et probablement il y a eu des tirs de chaque côté. Dans ce même pré, quand les avions ont disparu, nous avons ramassé de la salade (des pissenlits)… 4 casques de salade.  »
La batterie de Jacques et Albert quitte Théding pour Vahl les Benestroff (une trentaine de km au sud) le 31 mars 1940. Quelques jours plus tard, les hommes prennent le train en direction de la Haute Saône, ils arrivent à Passavant puis Villars-le-Pautel (Haute Saône) le 9 avril 1940.
Le 11 avril, Albert se tord la cheville en jouant aux boules avec des sabots. Le 12 avril on lui fait une radio à Jussey (10 km au sud de Villars-le-Pautel), Albert ne dit pas dans sa lettre ce qu’a donné la radio mais l’entorse doit être sérieuse puisqu’il est alors évacué à l’hôpital de Vesoul, 40 km plus au sud. Les soins se limitent à des bandages de la cheville et des piqures pour calmer la douleur. Une radio de contrôle est effectuée le 22 avril et, le 23 avril, Albert écrit :
« Le docteur vient de passer et je sais ce qu’a donné la radio : il ne faut pas faire d’imprudence, les ligaments ne tiennent pas beaucoup et il faut me reposer, le docteur m’a dit que si je m’y prenais mal je courrai le risque d’une entorse volumineuse, telles sont ses paroles, je ne souffre pas du tout… »

Après un mois d’hospitalisation à Vesoul, Albert retrouve la maison familiale à Apt le 15 mai 1940, pour deux semaines de permission. Il repart le 1er juin et passe à Dijon et Vesoul le 2 juin avant d’arriver à Paris le 4 juin. Il est au « dépôt des isolés » à Rangiport, près de Gargenville, le 6 juin, en attendant de rejoindre sa batterie, alors au nord de Paris.
Dans une lettre du 7 juin 1940, envoyée de Rangiport, Albert écrit :
« … je savais qu’à 10 heures il y avait un nouvel appel et il n’y a rien eu pour moi et mes copains de régiment, j’en ai trouvé un quatrième, arrivé ce matin, il est de mon groupe, il sait où se trouvent nos batteries, ils font antichars, et il m’a dit que les animaux des batteries sont en arrière, il est de retour d’une permission… »
Le 9 juin, Albert est dans un train qui prend la direction du nord de Paris, pour aller au-dessus de Creil, mais le train est arrêté en route et redescend au sud de Paris, d’où Albert écrit le 10 juin, de Massy-Palaiseau :
« … nous sommes retournés à temps au sud de Paris, nous avons vu beaucoup d’endroits bombardés, des avions boches, j’ai vu de loin le bombardement de Creil probablement… »
Le 12 juin 1940, Albert écrit de la gare d’Orléans pour dire qu’il se trouve dans un train qui l’emmène au dépôt de Nîmes car il n’a pas été possible de rejoindre son régiment. Il arrive au dépôt à Clarensac (14 km à l’ouest de Nîmes) le 20 juin, il y restera jusqu’au 12 juillet avant d’être démobilisé pour retrouver la maison familiale à Apt.
Dans une lettre du 24 juin 1940, envoyée de Clarensac (Gard) Albert écrit :
« … à ma batterie il parait qu’il y a eu beaucoup de prisonniers, il est arrivé quelques rescapés. »
Dans une lettre du 28 juin 1940, toujours à Clarensac, Albert précise :
« … le plus mauvais moment de mon régiment s’est déroulé du 4 au 7 et 8 juin, le jour où je partais de Gargenville… »
Dans une lettre du 9 juillet 1940, toujours à Clarensac, Albert écrit :
« Poncet a su hier, par sa soeur qui lui a écrit, que son cousin (Pourrière) que je connais très bien, est prisonnier, il est de ma batterie et j’aurais été avec lui si j’avais rejoint… »
Dans une lettre du 11 juillet 1940, toujours à Clarensac, Albert écrit :
« Les prisonniers ne tarderont pas à donner de leurs nouvelles. Ici il se dit que 250 de notre régiment se trouvent en Dordogne » (NDLR C’est le cas de Jacques).
Dans le courrier de la famille Lippmann on n’a pas de nouvelles détaillées de la part de Jacques concernant son régiment au début de juin 1940, mais on sait que son frère Pierre a été fait prisonnier le 5 juin (il restera malheureusement enfermé dans un stalag en Poméranie jusqu’à l’été 1945) et son père Jean a également été fait prisonnier, le 6 juin 1940 (mais il sera libéré en janvier 1941).
On a des nouvelles de Jacques dans une lettre qu’il écrit à son plus jeune frère, Claude, envoyée le jeudi 21 juin 1940 de Thenon (Dordogne), il y dit notamment :
« Papa est sain et sauf. Il ne manque plus que des nouvelles de Pierre, mais tout va se tasser… on s’emmerde ferme. J’attends évidemment la démobilisation avec impatience… bouffe à ta faim. »
Dans une autre lettre de Jacques, envoyée de Thenon le lundi 25 juin, il écrit à Claude :
« … en train de nous retaper après nous être battus du premier au dernier jour (NDLR Jacques y gagnera la Légion d’Honneur et sera promu au grade de capitaine). Cafardeux, comme tu peux l’imaginer. Un grand malheur nous a encore atteint, malheur relatif heureusement puisque nous n’avons perdu personne dans la famille. Malheureusement Papa et Pierre sont prisonniers… sois courageux… leur malheur n’est que relatif. J’espère que nous garderons notre foyer intact et en France. Je n’ai rien dit à Eva, j’attends encore un peu.  »
Enfin, dans une lettre envoyée de Thenon le vendredi 29 juin, Jacques écrit à Claude :
« J’ai beaucoup de boulot pour démobiliser les gens et remettre un peu d’ordre dans une monstrueuse pagaille. » et dans une carte datée du même jour, il lui écrit : « … je suis dans le Périgord… soigné comme un coq en pâte par les paysans qui me logent, bourré de foie gras et de truffes. »
De retour à Nice en janvier 1941, Jean Lippmann (le père de Jacques) reprend ses activités professionnelles normalement et s’engage dans la résistance. En avril 1943, il échappe par hasard à une visite nocturne de la police politique italienne venue l’arrêter (NDLR l’Italie est entrée en guerre le 10 juin 1940 et a envahi le sud de la France le 21 juin). Il est identifié comme juif germanophone résistant et recherché par le Sonderkommando de la Sipo-SD chargé de nettoyer Nice. En septembre 1943, il prend la fuite avec sa fille Eva dans les Alpes du Sud et prend contact avec la Résistance dans la vallée de l’Ubaye. Avec son accord, il installe son PC dans la haute vallée du Laverq, où il est rejoint par ses deux fils Jacques et Claude. Ce maquis est donc une affaire familiale au départ, mais il grossit rapidement, rejoint par des paysans combattants de la vallée, des réfractaires, des réfugiés politiques et bien sûr aussi d’autres juifs, il comprend une centaine de personnes en juin 1944.
Dans une lettre envoyée de Nice le 19 mars 1945 à son oncle Paul et sa tante Colette, Jacques fait un résumé des évènements survenus depuis septembre 1943 et raconte qu’il a été hébergé à Apt par Albert, en octobre 1943, alors qu’il était recherché par la Gestapo. Sa lettre comporte 8 pages dactylographiées, voici un extrait du début (la suite de la lettre est donnée plus loin, pages 12 à 14) :
« Vous savez que nous avons quitté Nice le 15 septembre 1943. À la suite de l’armistice italien, les allemands qui n’occupaient que jusqu’au Var envoyèrent dans les 10 heures des éléments de reconnaissance et occupèrent dans la semaine toutes les Alpes-Maritimes. L’occupation de Nice fut certainement une des plus atroces de toute la France. Les Juifs de l’Europe entière qui n’avaient pu fuir plus loin que nos frontières s’étaient rassemblés entre Nice et Cannes et on nous envoya des effectifs considérables de Gestapo.
Comme nous étions, papa et moi, poursuivis depuis 6 mois par la police italienne – fort peu dangereuse heureusement – nous avons jugé plus prudent de liquider nos affaires dans les 48 heures et de filer. Le 15 septembre au matin, nous avons pris le train du Sud qui n’était pas surveillé, alors que le P.L.M. l’était terriblement et nous sommes montés à Chauvet. Nous avons passé un mois fort confortablement en famille avec Eva, Claude et quelques-uns de leurs camarades réfractaires au S.T.O. ainsi que mon secrétaire, avocat à Paris. Il y avait des Allemands à la Foux, chargés de récupérer le matériel laissé par les Italiens dans leur fuite. Ils ne nous inquiétèrent jamais. Le 14 octobre au soir, on vint nous prévenir en taxi depuis Nice, que ma tête était mise à prix et que la Gestapo connaissait notre retraite. Tout le monde plia bagages et passa la Sestrière en direction du Laverq. J’étais pour ma part cloué au lit par un terrible lumbago et le taxi me transporta, couché, à Digne où je me réfugiai chez mon ancien chauffeur de la guerre, qui m’accueillit à bras ouverts. Je trouvais beaucoup de paroles de réconfort chez Pêche, mais aucune offre d’aide matérielle, qui nous eut été fort utile alors. Après Digne, je passai une dizaine de jours à Apt chez le bourrelier de ma batterie, aussi chic que mon chauffeur. Définitivement rétabli et nanti de vrais faux papiers3, je filai sur le Laverq où je trouvai tout le monde parfaitement installé dans le presbytère de l’église du petit hameau qui s’appelle l’Abbaye du Laverq. Nous avions pris contact avec les organisations de résistance de Barcelonnette et formé un maquis. La vie s’organisa rapidement pour l’hivernage… »

Jacques et Albert se retrouvent donc à Apt à la mi-octobre 1943, presque trois ans et demi après s’être quittés, alors que leur batterie était en Haute Saône. Jacques est accompagné de son épouse, Milka, il ne le dit pas dans sa lettre du 19 mars 1945 mais il le rappelle dans une lettre à Albert datée du 14 octobre 1965 et on la voit sur une des photographies prises par Jacques Dans ses faux papiers Jacques s’appelle Levilain.

Une vingtaine d’années plus tard, en 1965, Albert écrit à Jacques car la maison familiale à Apt doit être démolie, en même temps que tout le pâté de maisons auquel elle est adossée. Il espère que Jacques pourra l’aider pour obtenir une indemnisation plus intéressante que ce qui est proposé pour cette expropriation. Jacques a en effet pris la suite de son père comme huissier de justice à Nice.
Dans sa réponse, envoyée de Nice le 14 octobre 1965, Jacques répond ceci à Albert :
« Mon cher Marcelin,
J’ai bien reçu ta lettre du 8 octobre et je t’en remercie.
Je peux te dire que ma femme et moi pensons aussi souvent à vous, même si nous ne vous écrivons pas, car nous n’avons jamais pu oublier la semaine de convalescence que j’ai passée chez vous en 43 et la chaleur de l’accueil que nous avons trouvé chez vous à une époque où il était très dangereux de m’héberger.
Le temps a passé, mais l’amitié n’a pas diminué et je pense que votre fille aînée (NDLR Christiane) était un nourrisson adorable à cette époque.
Cela nous rappelle que nous sommes bientôt au seuil de la vieillesse les uns comme les autres.Je suis bien entendu à ta disposition pour te conseiller dans l’affaire dont tu parles.
Tu m’indiques que l’immeuble que vous habitez est compris dans le plan d’urbanisme…
… Je te téléphonerai dans quelques jours.

Je vais peut-être profiter des fêtes de la Toussaint pour aller faire un tour en Provence et, dans ce cas, tu penses bien que je ferai un crochet par Apt et que je te préviendrai par téléphone puisque cela est maintenant possible.
Je vous embrasse tous bien affectueusement. 
 »
Jacques et Albert ont ensuite un échange régulier de lettres concernant les détails techniques de l’expropriation. À partir des informations reçues, Jacques étudie la meilleure façon de faire et donne des éléments de réflexion intéressants. Ainsi, dans une lettre du 16 août 1966, il écrit :
« … La société de rénovation de la ville d’Apt va récupérer des terrains bien placés. Elle va démolir les maisons qui existent et reconstruire des maisons neuves.
Une importante surface de terrain va être dégagée, ce qui permettra d’utiliser ces terrains bien mieux qu’ils ne le sont actuellement…
… les deux évaluations, celle de ton métreur et celle de la Préfecture, me semblent absolument incroyables…
Je n’arriverai jamais à comprendre que, propriétaire d’une surface utile de 380 m², tu n’arrives même pas à récupérer la valeur d’achat de 100 m².
Il y a quelque chose qui me choque… »
Dans une lettre du 28 octobre 1966, Jacques enfonce le clou :
« … Il va falloir se montrer très fermes dans cette affaire. En effet, il s’agit d’une véritable expropriation et en cette matière – l’autorité expropriante doit la valeur de remplacement.
Si donc nous n’obtenons pas satisfaction amiable, il faudra attaquer, plaider et gagner... »
Le dénouement de l’affaire arrive très vite ensuite puisque Jacques écrit ceci dans une lettre du 20 janvier 1967 :
« … Je n’ai qu’une seule chose à te dire : c’est que je suis très heureux que cette affaire ait tourné aussi favorablement pour vous.
Je dois vous dire que j’étais très inquiet – parce que j’ai senti le poids de ma responsabilité.
Ce poids était tellement lourd – que je suis resté absolument stupéfait devant la chance que nous avons eue de voir les évènements tourner de plus en plus favorablement, les uns après les autres, dans un si court laps de temps.
Le principal, après tout, est que nous ayons réussi.
Je ne paierai jamais la dette de reconnaissance que j’ai envers toi depuis 1943.

Tu ne me dois rien ; c’est moi qui serait toujours ton débiteur.
Je vous embrasse tous avec toute mon affection. »
L’indemnisation reçue en dédommagement de l’expropriation4 a permis la construction d’une maison neuve à 2 km du centre-ville, rue du tennis, sur un terrain de 500 m² où la famille avait un « cabanon » en préfabriqué, composé de deux chambres et une pièce principale. La nouvelle maison englobe ce préfabriqué (elle est construite au-dessus sans le toucher car elle s’appuie sur des murs et piliers qui entourent le préfabriqué) elle offre 108 m² de surface habitable et dispose de quatre chambres à l’étage. La famille a pu s’installer dans cette maison à partir de décembre 1968.

Jacques écrit à Albert le 20 juin 1967, pour lui donner encore quelques conseils avant le démarrage de la construction de cette maison :
« Mon cher Ami,
J’ai bien reçu ta lettre du 11 juillet et je suis heureux que les nouvelles qu’elle contient soient bonnes.
En principe, après le coup de chance que nous avons eu au départ, tout devrait se dérouler normalement.

Il est très intéressant que ta construction soit primée (NDLR Prime à la construction de 8 750 Francs) car cela pourra éventuellement te permettre d’avoir un prêt du Crédit Foncier, à des conditions très intéressantes.
 125 000 Francs proposés le 4 janvier 1967 après accord amiable avec la Société d’Economie Mixte Immobilière de Rénovation de la ville d’Apt, laquelle avait initialement proposé 78 000 Francs le 23 juin 1966

… Cela peut te permettre d’améliorer ta construction ou de ne pas dépenser l’intégralité de ton indemnité d’expropriation, et d’utiliser autrement les sommes ainsi rendues disponibles.
Je suis content que ton fils continue à avoir régulièrement le prix d’excellence ; il faudra le faire aller très loin.
Je suis content que tes filles réussissent aussi et te donnent satisfaction.
Pour moi j’en ai aussi quelques-unes avec mes neveux et nièces.
J’ai une nièce qui a réussi, l’année dernière, à l’Ecole Normale Supérieure et qui termine brillamment sa première année, et un neveu qui vient d’être admissible à Polytechnique et qui n’a plus qu’un oral à passer.
Par contre, l’état de ma femme laisse toujours à désirer. Elle n’arrive pas à se débarrasser du rhumatisme infectieux qu’elle traîne depuis plus de deux ans ; on la bourre d’antibiotiques, sans aucun résultat appréciable… »
Dans une lettre du 10 septembre 1968, Jacques fait part de son souhait de passer à Apt pour voir la nouvelle maison. Il parle aussi du mariage de Christiane et Roger (le 27 juillet 1968) dans sa lettre :
« … … envoyer toutes mes félicitations pour le mariage de ta fille.
J’aurais bien aimé être à Apt ce jour-là, ne serait-ce que pour faire un peu le point sur notre vieillissement car l’image de Christiane à quelques mois, lorsque tu me donnais l’hospitalité à Apt en 43, ne me quittera jamais.
Elle est mêlée pour moi à une autre image : celle de la vieille maison que vous n’habitez plus, avec une famille heureuse, des éclats de rire du matin jusqu’au soir, de la joie dans le travail, peut-être la plus parfaite image du bonheur que j’ai connue.
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis.
Je pense encore à ta maman (NDLR Marie est décédée le 4 mars 1964). Je pense également que tu as retrouvé beaucoup de joie avec tes enfants et qu’il doit s’y être mêlé un peu de tristesse avec le départ de Christiane (NDLR Christiane a quitté la maison d’Apt en 1961, pour faire ses études à l’IBHOP à Marseille avant de partir à Chalon/sur/Saône comme conseillère d’orientation, elle n’a donc jamais vraiment habité la nouvelle maison rue du tennis). Je lui souhaite beaucoup de bonheur, elle y a droit et elle est capable d’en avoir et de savoir le conserver. Tu l’embrasseras bien fort de ma part et tu lui diras que tous mes voeux sont avec elle.

… j’aurai certainement l’occasion d’aller à Aix dans le courant du mois d’octobre, je ferai un crochet en rentrant et j’irai vous embrasser.
J’aimerais voir votre nouvelle maison, et puis je me suis toujours senti bien avec vous, ce qui n’est pas tellement fréquent dans la vie.
Je vous envoie toutes mes amitiés. »
Jacques n’a finalement pas pu passer à Apt à l’automne 1968, il en parle dans une lettre du 30 janvier 1969 :
« … Je suis content que Christiane soit heureuse et qu’elle te prépare un petit-fils ou une petite-fille.
Je vous envie.
Je ne doute pas que Maryse et Michel ne continuent à faire de brillantes études. C’est aussi une des meilleures satisfactions que tu puisses avoir.
Je sais que vous prenez la vie du bon côté et vous avez raison.
Je pense aussi que c’est la recette pour avoir des réussites du genre des vôtres.
Je n’ai pas pu passer à Apt cet automne et je le regrette. Je pense réparer cela au printemps lorsque j’irai faire passer les examens à Aix. Je te téléphonerai quand je viendrai.
… Je vous embrasse bien affectueusement. »

Jacques est finalement venu à Apt avec son épouse au printemps 1970, il a donc pu voir la nouvelle maison. La dernière lettre qu’il a envoyée à Albert date de 1972 (elle n’est pas datée mais elle fait référence au mariage de Maryse et Aimé le 12 août de cette année-là, de plus elle est manuscrite alors que toutes les autres lettres étaient dactylographiées). Jacques explique dans sa lettre qu’il sera en croisière en méditerranée avec son épouse du 3 au 13 août, entre Gibraltar et Gênes, et se dit « navré de ne pouvoir venir vous embrasser tous ce jour-là à Apt. » il ajoute : « Les occasions de se revoir et de remâcher agréablement de vieux souvenirs se font de plus en plus rare et je le déplore.

À bientôt j’espère. Avec toute notre affection. »
Jacques est décédé en 1975 (il a été inhumé le 28 octobre 1975 au cimetière du château qui surplombe la ville et le port).
Cette histoire a été écrite par Michel MARCELIN, fils d’Albert, en juin 2022, à partir de documents familiaux (notamment les lettres quotidiennes écrites par Albert à Rosette pendant la guerre) et de documents transmis par Mireille Provansal, nièce de Jacques Lippmann, ainsi que d’informations trouvées dans ses deux ouvrages : « Du ghetto au maquis » (éditions Obadia, 2018) et « Une famille juive avant la tempête » (éditions Jourdan, 2022).
Annexe
Anecdote à propos de Jacques, relatée par Albert.
Albert disait que Jacques parlait parfaitement allemand (grâce notamment aux nombreux séjours d’été passés dans des familles en Tchécoslovaquie, Autriche et Allemagne dans sa jeunesse) et que cela lui avait sauvé la vie lorsque, dans les Alpes, un soldat allemand l’avait mis en joue avec son fusil.
J’ai eu le plaisir de rencontrer Jacques à cette occasion, il m’a laissé le souvenir d’un homme très gentil et discret. Je me souviens aussi d’une excursion à Gordes, jusqu’à l’Abbaye de Sénanque. Christiane se souvient que Jacques avait acheté une chaine et un pendentif à Maman et elle a porté ce bijou très longtemps.
Jacques lui avait alors dit, dans un parfait allemand : « Ne fais pas le con ! » et le soldat l’avait laissé continuer son chemin sans histoire.
Il est difficile de situer où et quand s’est produit cet évènement, mais c’est certainement pendant qu’il était au maquis, entre 1943 et 1945. Peut-être du côté de la Foux d’Allos puisque Jacques écrit, au début de sa lettre du 19 mars 1945 : « Il y avait des Allemands à la Foux, chargés de récupérer le matériel laissé par les Italiens dans leur fuite. Ils ne nous inquiétèrent jamais. »
Extraits de la lettre de Jacques du 19 mars 1945 qui résume les évènements vécus de septembre 1943 à mars 1945 et raconte comment son père, Jean, a été fusillé.
Le début de cette lettre figure en page 5 de ce document. Jacques raconte ensuite les détails de la composition et de l’organisation de ce maquis. Après quoi il explique comment son père, Jean, devient officier de liaison entre les maquis français et italiens, au printemps 1944 :
« Dès la mi-avril, l’organisation de la vallée de l’Ubaye était parfaite. Papa fut alors désigné pour aller prendre liaison de l’autre côté de la frontière avec les maquis italiens stationnés dans le Valmaire et le Valstura. Il passa à côté du Brec du Chambeyron, dans la région de Sautéron. C’était une étape très longue et difficile puisque la zone frontière était interdite avant Jausier. Il y avait environ 30 heures de marche en dehors des sentiers, à une époque de l’année où il y a encore beaucoup de neige, surtout quand on passe à 2 700 mètres environ.
Il fit plusieurs voyages aller et retour et la conclusion fut que j’emmenai par les mêmes voies un détachement de plus de 20 hommes pour chercher des mitrailleuses lourdes avec leurs munitions et préparer le transport des mortiers de 81. Ce furent là des étapes extrêmement pénibles et dangereuses.
Les cols étaient très patrouillés, car il y avait d’assez nombreux Italiens qui utilisaient cette voie pour échapper à l’organisation Todt qui les avait requis et regagnaient leur foyer. Nombre d’entre eux se sont fait prendre et descendre comme des lapins dans les hautes vallées, car les Boches n’y allaient pas par quatre chemins comme d’habitude.
À la suite de la réussite particulière de la mission de Papa, il fut nommé en titre officier de liaison entre les maquis français et italiens.

Par suite de son départ, j’étais devenu le chef Maquis de la région du Laverq et commandais le sous-secteur. Mon temps se passa entre reconnaissances approfondies et en recherche et stockage d’armes et de munitions, ainsi qu’en recrutement de cadres et de troupe. »
Le groupe de Jacques est ensuite rattachés, comme groupe franc, au PC de la 15ème région basé à Ratery, au-dessus de Colmars (les Alpes) au mois de juin 1944. Jacques raconte comment ils harcèlent les Allemands dans la vallée de l’Ubaye et retrouve régulièrement son père qui, à Ratery, se voit confier le commandement d’un district englobant la quasi-totalité des Basses-Alpes, notamment les régions de Barcelonnette, de Seyne, de Digne et de Castellane, ainsi que le Haut-Verdon. Jacques est, quant à lui, chargé de libérer le plus de territoire possible en s’avançant vers le Sud. Il prépare l’occupation des vallées en installant des bouchons avant l’arrivée des effectifs venus d’ailleurs ou recrutés sur place. Jacques écrit :
« Je fis passer immédiatement Sestrière à ma compagnie et j’installai un bouchon sur la route du col d’Allos, versant Barcelonnette, à environ 6 km de cette ville devant une coupure ; un autre en bas du col des Champs, versant Vars, à quelques km au-dessus de St Martin d’Entraumes et un troisième dans la région de Thorame. Je m’installai au centre de mes trois sections à Colmars. Papa avait pris les liaisons pour son district et s’était installé avec moi exactement au même endroit. Nous fêtâmes le 14 juillet dans un pays libéré, aux accents de La Marseillaise avec les sapeurs-pompiers et nous hissâmes les couleurs, ce qui fit pleurer pas mal de monde.
En même temps la vallée du Haut-Var était libérée et un bouchon établi dans les gorges de Daluis, un autre dans le Cians et Beuil-Guillaume devenait le centre d’un secteur important.
Tout cela commençait à prendre tournure d’autant plus que des actions de harcèlement se poursuivaient sans répit sur la route de Digne. Tous les convois allemands étaient attaqués et pour la plupart détruits. On n’envoyait pas un camion sans une escorte d’au moins 250 hommes et sans une automitrailleuse. Les combats furent si acharnés qu’à plusieurs reprises des trains de renforts allemands partirent de Digne pour ne trouver que des camions calcinés sur la route et quelques survivants. Par deux fois dans la Clue de Chabrières des colonnes furent entièrement détruites. Les Allemands décidèrent alors de monter une opération d’assez grande envergure et 4000 à 5000 S.S. tenus en réserve en cas d’attaque dans les régions de Vence et Grasse furent dirigés pour attaquer les trois vallées du Var, du Cians et du Verdon. Nous étions environ 200 dans le Verdon et nous fûmes attaqués par 1500 à 1800 boches. Nous avions un ordre formel du Général Koenig de ne pas accepter la bataille rangée, ce n’est pas exactement ce que nous fîmes, mais bien entendu nous fûmes un peu noyés et si les Allemands qui se méprenaient sur l’importance de nos forces subirent de très lourdes pertes nous fûmes de nouveau obligés de prendre la montagne après avoir tenu le coup pendant 7 jours dans la vallée. Nous avions toujours un armement excellent, des munitions en abondance et comme nous savions que les Allemands ne pouvaient tenir le Verdon, nous attendions leur départ pour y revenir et continuer l’exécution du plan prévu.
Le PC de la Région était allé s’installer dans la haute vallée de la Bléone, à Eaux-chaudes d’où nous reçûmes un agent de liaison
. »
Jacques raconte ensuite comment il se rend à Eaux-Chaudes avec son père, le 29 juillet 1944, pour établir le plan de reprise des hostilités. Au retour de la réunion, le taxi qui devait venir les prendre à Prads (terminus de la route de la haute vallée de la Bléone) n’ose s’aventurer car les Allemands réquisitionnent des camions à Digne pour attaquer Seyne, encore occupé par la résistance. Jacques et son père remontent donc passer la nuit à Eaux-Chaudes où ils pensent être en toute sécurité car le lieu n’est accessible que par un sentier muletier. Mais les choses tournent mal :
« Néanmoins à 4 h du matin, une demi-heure avant le jour, nous fûmes réveillés par les aboiements prolongés du chien du fermier dans la grange duquel nous logions et quelques secondes après nous entendions frapper en dessous de nous, à la porte du fermier, par des gens nombreux qui parlaient allemand. Il était impossible de songer à résister dans ces conditions, d’autant plus qu’il y avait plus d’une centaine d’allemands dans le chemin creux qui conduisait à la ferme. Le fermier, un vieillard de plus de 80 ans, fut magnifique. Il fit le sourd pour que les Allemands soient obligés de hurler pour se faire comprendre et que nous fussions réveillés à coup sûr. Nous filâmes en vitesse et passablement en désordre par derrière la maison. C’était difficile car nous étions 26 et, dès que la porte de la grange s’ouvrit, nous fûmes accueillis par une grêle de balles. Fort heureusement les Allemands avaient été pris au dépourvu car ils ne devaient pas soupçonner que nous étions là ; ils procédaient probablement à un mouvement d’encerclement destiné à capturer un hôpital F.T.P. qui se trouvait à deux kilomètres de là dans une ferme. Ils réagirent rapidement mais, comme il faisait nuit malgré les fusées éclairantes, tout le monde leur échappa. Il n’y eut que quelques blessés extrêmement légers. Pourtant je suis passé pour ma part en rampant à moins d’un mètre d’un fusil mitrailleur installé sur une terrasse. Nous fûmes poursuivis assez longtemps par des tirs de mitrailleuses et de mortiers inefficaces car nous étions en ordre très dispersé et dans les fourrés qui mènent vers les Trois Evêchés. Nous opérâmes un premier regroupement d’une quinzaine de personnes, au petit jour. Il en manquait beaucoup. Devant l’impossibilité d’attendre dans la montagne sans vivres et sans eau, nous fûmes dans l’obligation de passer la crête des Trois Evêchés et d’attendre les rescapés car il nous était impossible de monter une attaque pour chasser les Allemands.

Nous rejoignîmes le Laverq où tout le monde arriva dans le délai de trois jours, sain et sauf, pour rejoindre ses cantonnements. Des officiers envoyés de Seyne après le départ des Allemands vinrent reconnaître les cadavres de ceux qui avaient été pris. Il y en avait six en tout, dont cinq de l’hôpital et Papa. Tous avaient été fusillés et il ne semble pas qu’aucun sauf un Italien ait été supplicié7 d’après les renseignements que j’ai pu avoir.
Je suis retourné dans la vallée après et, des dires des paysans, il semble que Papa ait été pris vers 10 heures du matin, alors qu’il serait redescendu pour voir si les Allemands étaient partis et si il restait encore du matériel à sauver, nous avions en effet reçu de très fortes sommes, destinées à l’entretien des troupes, qui avaient été cachées et abandonnées dans leurs caches. On ne les retrouva jamais d’ailleurs, la ferme ayant été brûlée par les Allemands.

… »
Liens entre la famille Lippmann et la famille de Simone Veil
La famille Lippmann était très amie avec la famille Jacob et ils se retrouvaient souvent tous ensemble à Nice mais aussi à la bergerie de Chauvet, dans la haute vallée du Verdon. En 1941 et 1942, Denise Jacob est au lycée Calmette, à Nice, camarade de classe d’Eva Lippmann, la soeur de Jacques. Denise s’engage dans la résistance en 1943, comme Eva, mais elle est arrêtée le 18 juin 1944 pendant qu’elle transporte deux postes émetteurs et des finances pour le maquis des Glières, elle est torturée par la Gestapo puis déportée à Ravensbrück. Sa jeune soeur, Simone, reste au lycée à Nice jusqu’en 1944. Elle n’a que 16 ans lorsqu’elle est arrêtée, le 30 mars 1944, puis déportée à Auschwitz en même temps que les membres de sa famille qui ont fait le choix malheureux de rester à Nice avec de faux papiers. Son père, son frère et sa mère meurent à Auschwitz. Rescapée avec ses soeurs Madeleine et Denise, elles aussi déportées, Simone épouse Antoine Veil en 1946 puis, après des études de droit et de science politique, entre dans la magistrature comme haut fonctionnaire.
Toutefois, dans son livre « Du ghetto au maquis » Mireille Provansal écrit, à propos de Jean : Son corps a été transféré au cimetière juif de Nice à la fin de la guerre. Une autopsie a montré qu’il avait été torturé, ou au moins maltraité, puisqu’il avait le nez cassé.