EN AVANT PREMIERE DE L’UNIVERSITE d’ETE : Les Tribunaux de Nuremberg Faut-il parler du ou des procès de Nuremberg ?

lundi 4 juillet 2022
par  Renée Dray-Bensousan

Même si les historiens ont pris l’habitude de parler du proces de Nuremberg, il faut en parler au pluriel : il y eut plusieurs procès à Nuremberg,
l) Le procès du tribunal international militaire, celui qu’on appelle le Procès, ( avec une majuscule) et qui fut le premier.

2) Les douze procès du tribunal militaire américain (dont les procès des praticiens, des médecins et juristes, des S.S. et de la police, des industriels et financiers, des chefs militaires, des membres du gouvernement ).

3) Les procès devant les tribunaux allemands jugeant les Allemands pour des crimes contre les Allemands.

Sans compter les nombreux autres procès tenus dans les anciens pays occupés par l’Allemagne. Ces procès furent la mise en application de ce qu’envisageaient les alliés depuis longtemps. C’est en fait ce qu’on met sous le terme de politique de dénazification.

Le Tribunal international militaire de Nuremberg ou le Procès de Nuremberg du 20/11/45 au 1/10/46

L’idée d’un tribunal jugeant les crimes de guerre n’est pas nouvelle.
Elle avait été déjà formulée dès la fin de la première guerre mondiale et inscrite dans le traité de Versailles ( art 227) “ Les puissances alliées et associées mettent en accusation publique Guillaume II de Hohenzollern, empereur d’Allemagne , pour offense suprême contre la morale internationale et l’autorité sacrée des traités”. Un tribunal spécial devait être constitué pour “ déterminer la peine qu’il estimera devoir être appliquée”. Or le gouvernement hollandais , ayant refusé de livrer Guillaume II, son procès n’avait pas eu lieu.
L’art 228 prévoyait le jugement des criminels de guerre. Un seul procès eut lieu à Leipzig de mai 1921 à décembre 22 : ce fut une mascarade.
 Donc à la fin de la première guerre déjà dans l’optique de la Der des Der, une volonté de mettre la guerre hors la loi et de juger les “crimes contre la paix et les crimes de guerre” s’affirme
 L’idée d’un tribunal jugeant les crimes de guerre reprise des l’année 1941 et attend 1945 pour être mise en pratique.
L’idée d’un tribunal jugeant les crimes de guerre est reprise des l’année 1941 chez les alliés au moment où leur parviennent des informations sur les atrocités commises par les Nazis dans les pays occupés.
 Plusieurs déclarations en commun sont alors faites ; l’une d’elle revêt une importance particulière, celle du 17/12/42 qui mentionne pour la première fois le massacre des juifs (Wieworka 1995 page 11). Le 30/10/43 encore en pleine guerre, les alliés publient à Moscou, une déclaration sur les atrocités allemandes en Europe occupée. Dans cette déclaration, les alliés, en même temps qu’ils créent une commission des crimes de guerre, évoquent deux types de criminels avec pour critère, non pas l’importance du crime mais son lieu, son envergure.
- Ceux qui ont accompli leur forfait dans un seul lieu, officiers et soldats allemands, membres du parti nazi responsables d’atrocités et de crimes, ou qui ont pris volontairement part à leur accomplissement, seront renvoyés dans les pays où leurs forfaits abominables ont été perpétrés, afin qu’ils puissent être jugés et punis conformément aux lois de ces pays libérés. Ces crimes seront jugés par des tribunaux par zone (par exemple, le tribunal américain de Nuremberg), par pays soit par des tribunaux ordinaires -c’est le cas pour la Norvège, le Danemark ou la Yougoslavie -soit par des tribunaux spéciaux ( Tchécoslovaquie ou Pologne) soit encore par des tribunaux militaires spéciaux ( Grèce, Italie)
-Ceux qui se sont rendus coupables de plusieurs crimes sur plusieurs lieux seront traduits en vertu de décisions communes par les alliés . Ce sera le tribunal international de Nuremberg.
Quels crimes juger ?
La guerre d’agression est-elle selon la loi internationale un crime ?

Quand, à la fin de la guerre, en 45, il s’agit pour les alliés de négocier entre eux pour parvenir à cette fameuse décision commune, les positions sont partagées sur deux questions :
-un ou plusieurs procès ?
-que juger ? les crimes de guerre ou le complot nazi pour dominer l’Europe, ce que souhaitent les américains qui désirent un procès historique ?

Finalement le 8/8/45 les alliés tranchent dans le cadre des accords de Londres et donnent des statuts à ce qui va devenir le Tribunal international militaire . Tous les gouvernements peuvent y adhérer, les décisions doivent être prises à la majorité des 3/4 , les crimes soumis à cette juridiction sont enfin définis.
La focalisation récente sur les crimes contre l’humanité a fait oublier les autres crimes. Quels sont-ils ? Ils sont de trois types : (Wieworka A 1995 page 24)
-Crimes contre la paix et crime de complot ou de plan concerté
( Goering, Ribbentrop, Keitel....) Passés aujourd’hui sous silence par une mémoire collective qui a retenu les seuls crimes contre l’humanité, “ la guerre d’agression “ et le “complot” furent pourtant le coeur du procès. C’était une absolue nouveauté “ Le recours à la guerre n’était plus une prérogative de l’ État souverain ; il pouvait au regard du droit international, être considéré comme un crime et ceux qui en étaient responsables pouvaient être accusés et condamnés” souligne Annette Wieworka.
-Crimes de guerre ou de violation des droits et coutumes de guerre. ces crimes font déjà partis du droit international depuis le début du siècle.
-Crimes contre l’humanité qui, même si le mot juif n’est pas prononcé, concerne bien les juifs .Cette notion est verrouillée dans le temps elle ne concernera que la période de la guerre. Ce crime pose un énorme problème aux alliés parce qu’il sous entend le droit d’ingérence. d’où une ambiguïté des positions malgré l’attitude courageuse du représentant de la France qui voulait faire de ce crime, un crime indépendant

La préparation du procès qui dure donc de cette publication des statuts (8/8/45) à la séance inaugurale (18/10/45) est passée à récolter une documentation pour les preuves (des milliers de documents révélant des secrets diplomatiques ou militaires ), à faire la liste des inculpés, à rédiger l’acte d’accusation
Le déroulement
Le tribunal international militaire de Nuremberg se tient du 20/11/45 ( vrai début du proces) au 1/10/46 juge les grands criminels de guerre ( 42 Volumes publiés de 47 à 49 en plusieurs langues) 21 accusés. ( Goering, Von Ribbentrop, A Rosenberg, Keitel, Bormann, par contumace, Hess ....) 12 condamnations à mort, 7 à la prison, 3 acquittements). Il y eut des moments pénibles au cours de son déroulement, notamment lorsque fut présenté un film documentaire sur les camps de concentration ( enfin une attitude humaine chez certains des inculpés !), d’autres durant lesquels certains comme Goering, désintoxiqué et en pleine forme, se défendit d’une manière très brillante et fit l’admiration de la presse alors qu’en fait il faisait encore un discours de propagande, le dernier, d’autre encore très durs à cause des documents mis sur la table des preuves, comme le moment où furent révélés les accords secrets Staline/ Molotov au sujet de l’attaque de la Pologne et de l’abandon des trois républiques baltes par Hitler à Staline . L’avocat des Allemands ne manqua pas de faire remarquer que pour le même fait ; l’agression contre la Pologne, l’un des acteurs était dans le box des accusés l’autre dans celui des accusateurs. Ce fut selon les mots de Léon Poliakov qui était là pour le CDJC, la découverte d’un cadavre dans un placard.

La postérité du procès : un procès critiqué
La critique porta sur trois points
-La loi fut appliquée par les seuls vainqueurs et non pas au nom seulement du droit des gens
-Chez les vainqueurs il y eut l’URSS coupable d’agression et d’autres crimes ( Katyn )
-La juridiction fut rétroactive
On peut pour terminer signaler que les crimes contre l’humanité n’étaient pas, loin s’en faut, au coeur de ce procès ( le mot génocide très chichement utilisé) l’important était de mettre la guerre hors la loi

Le Procès des médecins à Nuremberg
du 9/12/46 au 19/7/47

1996 ....C’est le 50ème anniversaire d’un des nombreux procès de Nuremberg, et plus précisément du procès des médecins nazis qui s’ouvrit en novembre 46.
Nous sommes dans un contexte de mutation et de questionnement au plan éthique ce qui explique la création de nombreux comités d’éthique. Or ce procès des médecins nazis se termina par l’édification d’un code dit code de Nuremberg qu’on redécouvre. C’est pourquoi un colloque fut organisé cette année à l’U.N.E.S.C.O.
Ce procès est une suite logique des décisions prises par les alliés pour la dénazification. En même temps qu’était élaborée la juridiction pour le tribunal militaire international , était édictée la loi N°10 paru au journal officiel du Conseil de contrôle en Allemagne pour les criminels qui ne seront pas jugés par le tribunal international.
C’est en vertu de cette loi que les autres tribunaux devaient juger selon le principe de la même loi pour tous.
Voila pourquoi quand le tribunal international militaire se sépare lui succède un tribunal américain à Nuremberg ( zone américaine) 
Ce tribunal fonctionna à partir du 21 novembre 46 , pour douze procès qu’on peut classer en cinq catégories (177 accusés individuels) :
- procès des praticiens ( médecins et juristes)
-S.S. et police
-industriels et financiers ( dont Krupp)
-chefs militaires
-membres du gouvernements
La procédure de ces procès suivit de prés celle qui avait été adoptée devant le tribunal militaire.
Le procès des médecins, fut le premier à s’ouvrir le 9 décembre 1946 et se termina le 19 juillet 1947. Il compta 23 accusés dont Karl Brandt un des médecins personnels d’Hitler qui devient à 40 ans commissaire du Reich pour la santé et pour l’hygiène ( position médicale la plus élevée) . A ce titre, il fut responsable du programme “Euthanasie”.
Le chef principal du réquisitoire porta sur les expériences médicales criminelles Citons les actes du colloque page 36.
“A Dachau , de telles expériences étaient faites au bénéfice de l’armée de l’air, afin de rechercher les limites de la vie humaine aux altitudes élevées et pour déterminer le traitement le plus efficace à appliquer aux aviateurs qui avaient subi des gelures graves.
Les expériences étaient faites dans une chambre à basse pression dans laquelle étaient réalisées les conditions d’atmosphère et de pression existant en haute altitude (au dessus de 22500 mètres). Beaucoup de victimes moururent des suites de ces expériences et d’autres souffrirent de graves mutilations...
...Dans une série d’expériences, les sujets étaient forcés de demeurer dans un bac d’eau glacée pendant des périodes de plus de trois heures...
Après que les survivants aient subi une congélation partielle, on s’efforçait par divers procédés d’obtenir leur retour à la condition normale. Dans d’autres séries d’expériences, les sujets étaient maintenus, sans vêtements, en plein air, pendant des heures, à des températures inférieures à 0 degré.”

Un autre exemple est donné à propos de Rudolf Brandt et de l’intérêt de la pseudo-science nazie :
“112 Juifs furent choisis pour compléter une collection de squelettes pour l’Université allemande de Strasbourg. On prit leurs mesures anthropométriques et un certain nombre de documents photographiques. Puis ils furent tués. Plus tard, on fit des tests, des comparaisons, des recherches anatomiques, des études concernant leur race, les caractéristiques pathologiques du corps, la forme et la dimension du cerveau et d’autres recherches. Les corps furent envoyés à Strasbourg et écorchés.”
Le parti pris par les organisateurs du colloque a été non seulement une réflexion à partir de faits historiques sur Éthique , responsabilités et crimes contre l’humanité mais aussi un plaidoyer pour de nouvelles formations civiques. C’est ce choix qui transparaît à travers la volonté de faire connaître le code de Nuremberg ( cf. annexe) pour qu’il serve de base à une réflexion et une action éthique.
Renée Dray-Bensousan

(1)1946-1996-Le Procès des médecins à Nuremberg Éthique Responsabilité civique et crimes contre l’humanité-Éthique médicale et droits fondamentaux. Plaidoyers pour de nouvelles formations civiques-Colloque à l’Unesco 7/8/12 1996
(2) Annette Wieworka ; Le procès de Nuremberg, Ed Ouest-France, Paris 1995, 200 pages