VOUS N’AUREZ PAS LES ENFANTS

lundi 20 décembre 2021


VOUS N’AUREZ PAS LES ENFANTS ,
Valérie Portheret , éditions XO
Préface Boris Cyrulnik et Serge Klarsfeld


 Voici un livre remarquable, aboutissement de 25 années de recherche pour rendre compte du plus grand sauvetage d’enfants juifs, cent huit, dans la France de Vichy. En effet, un peu plus d’un mois après la rafle du 17 Juillet 1942 à Paris,(13000 adultes, 4000 Enfants déportés), c’est au tour de la zone dite « libre » de livrer à l’Allemagne son contingent de victimes. Le 26 août 1942, 10016 juifs étrangers arrivés en France après le 1er janvier 36 ,sont raflés dans les dix départements de la région de Lyon puis internés au camp de transit de Venissieux, un ancien arsenal militaire datant de la 1ère guerre mondiale situé près d’une voie ferrée et éloigné des habitations.


L’ordre est donné aux préfets , par les autorités de Vichy et le chef de la police René Bousquet, d’établir des listes et de préparer en secret cette opération, avec « fermeté et sans violence ». Mais grâce à Gilbert Lesage, chef du SSE, service social des étrangers de Vichy, et agent de la Résistance, l’information va être dévoilée aux réseaux coordonnés par l’abbé Glasberg, S’engage alors une course contre la montre pour exfiltrer et mettre à l’abri les108 enfants.


 L’auteur restitue presque heure par heure les journées du 26 au 30 août : les arrestations au petit matin puis l’arrivée des autobus au camp qui va s’étaler sur deux jours. L’acceuil est encadré par des bénévoles , des assistantes sociales , délégués par des associations caritatives. Tous les internés vont ensuite passer devant une commission de « criblage » chargée d’examiner les demandes d’exemptions . Elle décide soit de libérer soit de déporter en fonctions de critères établis par Vichy mais qui deviennent de plus en plus restrictifs afin d’atteindre le quota réclamé par l’Allemagne. Les membres de cette commission sont, outre le chef du SSE Gilbert Lesage, le représentant du préfet de région Angeli, Lucien Marchais, le jeune médecin Jean Adam (qui va faire face en une seule nuit à 26 tentatives de suicide ) ; des représentants de la Croix Rouge et des principaux membres de l’Amitié chrétienne l’abbé Glasberg et le père Chaillet. Sous la protection du Cardinal Gerlier, primat de Gaules, cette association interconfessionnelle a été fondée par l’abbé Alexandre Glasberg, un juif d’origine russe arrivé en France en 1920 et converti au christianisme. Grâce à un stratagème d’infiltration et d’opiniâtres négociations tout va être mis en oeuvre pour exempter le maximum de personnes ; falsification de dates de naissance, ou d’entrée en France pour contourner l’annulation de l’article qui le 5 août permettait aux parents déportés de laisser les enfants en France et supprimé le 18 août ! Pour cela il faut obtenir des parents qu’ils signent des abandons de paternité. C’est alors l’heure de la séparation « comment décrire le déchirement que représente de laisser ses enfants derrière soi, comment imaginer la douleur, l’abime qui s’ouvre dans le coeur de ces parents obligés de signer des actes d’abandon de paternité, prix à payer pour tenter de les sauver ? ». La dernière étape : la sortie du camp au petit matin, moment délicat, il ne faut pas attirer l’attention des gardes puis la cache des enfants dans un ancien couvent des Carmélites à Lyon et leurs prises en charge par des familles pendant que les adultes sont transférés à Auschwitz via Drancy. 545 y seront gazés.


 Le titre du livre est celui d’un tract distribué à Lyon et sa région en réponse à la traque acharnée mise en oeuvre par Vichy pendant plus d’un mois pour récupérer les enfants.Trois d’entre eux seront repris et gazés à Auschwitz. Précision tragique : 2 sont frère et soeur, ainés d’une fratrie dont les plus jeunes, réfugiés à Lisieux seront également déportés.


Ce tract est signé des Mouvements de Résistance. Il en appelle à la conscience des français, dénonce le préfet Angeli traité de « Tartarin raciste » , et se réclame de l’autorité morale du cardinal Gerlier, ( qui avait refusé de livrer les adresses des enfants exfiltrés). Le tract reprend en substance la lettre dejà adressée au préfet, et qui se concluait par « …Lyon saura si Mr Angeli est Français ou serviteur des boches. »


Valérie Portheret montre donc le rôle fondamental de femmes et d’hommes qui ont oeuvré malgré les dangers à ce sauvetage, à titre individuel ou dans le cadre d’associations comme l’Amitié Chrétienne mais aussi, la Cimade organisation protestante d’aide aux réfugiés patronnée par le pasteur Boegner, l’OSE oeuvre sociale à l’enfance juive , avec l’appui de la résistance locale et le soutien indéfectible du cardinal Gerlier.


 Le travail de l’auteur ne s’arrête pas là, elle va s’atteler non seulement à retrouver la trace et le parcours des enfants, des sauveteurs, des familles d’acceuil, mais aussi ce qu’ils sont devenus. Interviewer les descendants, recueillir des témoignages, filmer, fouiller les archives , pour cela elle va voyager en France, en Suisse, en Israel, aux Etats Unis. Elle va parvenir à identifier 90 des enfants. « Chacun m’a raconté son histoire, sa famille, son monde d’avant guerre » ; quatre vingts ans plus tard, Léa lui confiera que les cris de sa mère résonnent encore avec la même force. Valerie Portheret, habitée par son sujet, communique au lecteur son empathie. On s’attache aux protagonistes de ce drame, elle résume pour une vingtaine d’entre eux leur devenir, on met des visages ( le livre est enrichi de photos ), des noms : Rachel, Justus, Lili, l’abbé et tant d’autres nous deviennent familier.


L’intérêt de ce livre, préfacé par Serge Klarsfeld et Boris CyrulniK, est non seulement de mettre en lumière un épisode peu connu de la collaboration de Vichy à la barbarie nazie, mais aussi de montrer que grâce à l’engagement, la solidarité, le courage, le pire peu être évité et que des Justes ont sauvé l’honneur de la France.


Avec une écriture agréable, efficace, voici un travail rigoureux d’historienne, issu de sa thèse (1600 pages) soutenue en 2017 et récompensée par le prix Seligman, rendu accessible au grand public .


Une lecture émouvante et édifiante, une histoire incarnée qui, comme le souhaite l’auteur « doit entrer dans toutes les écoles pour donner un souffle aux jeunes, leur donner l’envie d’agir plutôt que renoncer et subir ».


Un travail de mémoire qui un an seulement après sa publication est déjà en livre de poche !


Nicole AGOU