En hommage à une consœur bien aimée : Michèle Grandjean (1930-1999), journaliste

dimanche 26 septembre 2021


Michèle Grandjean (1930-1999), journaliste de haut vol dans l’enquête et le reportage au long cours comme dans la chronique des arts, du théâtre et du cinéma, qui ne cessa, quarante années durant, d’exercer son métier avec une curiosité inlassable et une passion san failles.


Sa « bio », vous la trouverez dans le Dictionnaire des Marseillaises*, avec la photo de son beau visage de femme forte, et ces mots, les miens, en ouverture : C’est au journalisme, dans ce que celui-ci a de plus noble et de plus exigeant, que demeure d’abord associé le nom de Michèle Grandjean et, dans ce métier, au journal « Le Provençal » essentiellement – dont elle disait au moment de le quitter : « C’était un salaud, mais je l’adorais, il m’a donné les joies les plus complètes. » Le Provençal ! Nous y compagnonnâmes beaucoup, en voisins de bureau, et en complices de militance – à la section locale du Syndicat National des Journalistes, dont nous fûmes alternativement les secrétaires. Moments inoubliables pour moi ; de quoi forger en tout cas ce qu’elle appelait une amitié très grande, et même un peu plus**.


Quelques mots sur sa vie « avant ». Naissance à Cognac d’un père pharmacien et d’une mère descendante de fabricants de cognac ; enfance à Bergerac, où toute gosse elle fonde une « Académie des passions » : elle y réunit des amis « pour parler de tout »… Etudes brillantes (Lycée féminin de Carcassonne, séjours à Oxford, Beaux-Arts de Paris…) ; puis, temps difficiles, petits boulots mal payés, dans l’attente active de pouvoir répondre à ce qu’elle considère comme sa vocation : le journalisme.


Au journal « Le Soir », d’abord dès 1956, puis au « Provençal », quarante années durant, Michèle exerça cette profession avec un talent unanimement apprécié et ce dans tous les registres de la presse écrite, y compris dans celui du dialogue avec les lecteurs. C’était Michèle Grandjean vous parle ! ; dialogue qu’elle instaura avec un égal succès auprès des auditeurs de Radio Monte-Carlo.


Journaliste dans l’âme ! dans les tripes, la Grandjean ! Mais attention ! il ne fallait pas lui parler d’objectivité ! A la fade neutralité de cette prétendue vertu journalistique, elle préférait l’alliance de l’honnêteté la plus scrupuleuse et de la plus franche subjectivité. Des mots me viennent pour dire ce qui l’animait – et ce qu’elle entraînait tout son monde à partager. Je pense « enthousiasme » ; enthousiasmes multiples, pour toutes les beautés du monde, beauté d’un pur-sang ou d’un animal sauvage, d’un visage rencontré, beauté d’un spectacle de théâtre, beauté d’un costume – d’où son élégance naturelle, beauté d’un tableau comme ceux de ses amis peintres haïtiens auxquels elle consacra un livre au nom de l’art et du cœur.


Je pense « indignations, » plurielles, elles aussi, ô combien ! Je pense « révoltes » : celles qui la poussaient à s’engager au service de multiples causes – la cause des femmes, bien entendu, dans de multiples combats, en de multiples points du monde ou au coin de la rue ; les luttes syndicales, j’en ai parlé ; sans oublier la défense des animaux, pas seulement des chevaux, de tous les animaux qu’elle semblait avoir le don d’apprivoiser naturellement.


Elle s’emportait ! Nous nous emportions ! Rebelle, elle était. Intransigeante. Mais elle savait faire « la paix ». Le mot s’impose aussi en pensant à elle ; et celui de « réconciliation ». J’en eus le témoignage le jour où, de retour d’un voyage en Inde, elle se mit à genoux aux pieds d’une de nos consœurs et amies – à laquelle l’opposait une fâcherie ancienne – dans un geste de tendresse, de fraternité que celle-ci, je le sais, conserva au cœur comme un trésor.


« Tendresse », ai-je dit : celle qui sourd à toutes les lignes de son livre L’Amour dans l’œuf – il aurait pu s’intituler Les mémoires d’un fœtus –, l’histoire d’un amour à trois : Noutho et Toto-Pacha, ses parents et bébé, elle, Michèle. Et « plaisir » aussi, à chaque page ; plaisir de tous les sens, de tous les pores de sa peau ; « plaisir », un des maîtres-mots de sa belle et pleine vie.


Peu avant de s’en aller, Michèle Grandjean voulut relayer l’action de l’Association pour les arts du monde qui, depuis 1989, achète des œuvres d’artistes haïtiens et organise en Europe des expositions-vente au profit d’organisations humanitaires de leur pays – le plus pauvre du monde ! Grâce à la création d’une autre association, Art et Cœur, la bien nommée, elle conçut et publia alors un magnifique catalogue des peintures de ces artistes, avec reproduction de leurs tableaux pleins de spontanéité lumineuse et colorée, accompagnés d’une courte biographie et de quelques lignes d’interview de chacun***.


Ce fut son dernier « grand reportage », sa dernière œuvre. Et son dernier message, son dernier mot d’ordre à ses amis : La couleur contre la misère, la joie du travail et de l’art contre les affres de l’exclusion, la beauté luttant contre l’injustice, tel est le pari !


Pari tenu, sinon gagné. Elle le savait, Michèle, et elle me l’écrivit dans sa dédicace :


La lutte continue !


Jacques Bonnadier



*Sous la direction de Renée Dray-Bensousan et Hélène Echinard, Catherine Marand-Fouquet, Eliane Richard (Editions Gaussen-Association Les Femmes et la Ville, 2012).


**En dédicace de son roman L’amour dans l’œuf (Editions Jeanne Laffitte, 1977)


*** Artistes en Haïti ; cent parmi d’autres. Art et Cœur 1997. Disponible sur Internet : www.refer.fr/haiti-ct/tur/musee