Temoignage de Michel Bromberg sur sa Grand-mère FLOM TAUBA

mardi 24 août 2021


TEMOIGNAGE DE MICHEL BROMBERG
Le 16 aout 2021


Je suis né à Paris en 1946, de parents juifs ashkénazes. Je fais partie de cette génération que l’on appelle « le Baby-Boom ». Mes parents, nés en Pologne, ont quitté ce pays très jeunes. Ils habitaient tous deux dans des petits villages qu’on appelait : « Shtetel ».
Mon père est arrivé en France en 1927 à l’âge de 17 ans. Il reçoit la nationalité française en 1931 et fait son service dans l’armée française, en tant que fantassin de 1932 à 1933.
Ma mère, elle, est arrivée en 1933 à l’âge de 18 ans. Elle traverse l’Allemagne seule à pieds et en train, et croise les « chemises brunes ».
Mon grand-père maternel était très pratiquant, et avait quitté son épouse après 19 ans de mariage, pour une jeune fille. Ma mère avait décidé de rejoindre la France, non seulement pour vivre dans la patrie des « Droits de l’Homme », mais aussi par un trop-plein de religion. De plus, elle était communiste. Lorsqu’elle quitta la Pologne, ma grand-mère lui remit les modestes économies qu’elle avait réussi à épargner.
Mes parents se sont mariés à Paris, à la mairie du 20e arrondissement, en décembre 1934, avec seulement deux témoins. Puis ils sont allés prendre un café pour célébrer leur union, avant de retourner travailler.
En 1936, ma sœur naît à Paris, qui pendant toute la guerre sera une enfant cachée, dans une famille de paysans à Briancon.
Mes parents travaillaient dur. Ma mère était boutonniériste et mon père fabriquait des pantalons. Quand ils eurent mis un peu d’argent de côté, ils firent venir ma grand-mère maternelle de Pologne en 1937, qui s’installa dans leur appartement dans le 11e arrondissement de Paris.
Quand la guerre éclata et que les Juifs furent obligés de porter l’étoile jaune, mes parents refusèrent de la porter. En juin 1941 mon père est arrêté par la police française, interné à la caserne des Lilas en tant que détenu politique, puis il est transféré au camp de Drancy d’où il sera libéré en novembre 1941 pour raisons de santé. Il en ressort malade et très fortement amaigri. Il décide alors de quitter Paris pour rejoindre la « Zone Libre ». Il s’installe à Villeurbanne en décembre 1941, et rentre dans la Résistance. Ma mère et ma sœur le rejoignent en janvier 1942, et ma sœur sera cachée dans des familles françaises jusqu’à la Libération. Ma grand-mère, fatiguée, refuse de les suivre et reste seule dans leur appartement à Paris. Ma mère entre également dans la Résistance.
En janvier 1945, après la Libération, mon père, ma mère et ma sœur reviennent à Paris. Ils découvrent alors que l’appartement qu’ils occupaient avant la guerre était occupé par une famille française. Ils avaient été spoliés. Ma grand-mère avait disparu et en dépit de nombreuses recherches, on ne retrouve aucune trace de son devenir.
Je suis né à l’été 1946 (donc après la guerre) et j’ai grandi dans cette maison où l’on parlait uniquement le yiddish. Ce fut ma langue maternelle, bien avant le Français. On y parlait de tout sauf de la guerre. C’était apparemment un sujet tabou, mais je ne m’en rendais pas compte,
En 1962, j’avais 16 ans, je suis tombé par hasard sur un dossier dans lequel ma mère demandait aux autorités françaises une enquête sur le sort de sa propre mère pendant la guerre. La réponse du ministère des affaires étrangères, à Nantes, était brève et laconique. Ma grand-mère avait été arrêtée par la police française fin janvier 1943 et remise aux autorités allemandes. Là, disparaît sa trace.


En 1988, j’avais alors 42 ans, j’effectuais un voyage en Israël qui me conduisit, entre autres, à Yad Vashem. J’avais appris qu’au premier étage du musée, il existait un service, dirigé par Simon Wiesenthal, celui-là même qui recherchait les anciens nazis dans le monde entier. Ce service avait également comme objectif de retrouver la trace de tous les Juifs disparus pendant la deuxième guerre mondiale.
Je décide de m’y rendre, et je suis reçu par une femme qui écoute mon récit avec la plus grande attention. Elle allume alors un rétroprojecteur dans lequel elle glisse des microfiches qui défilent sous mes yeux, puis s’arrête sur une page.
Je découvre avec stupéfaction les mêmes documents que ceux que j’avais trouvés lorsque j’avais 16 ans. La réponse du ministère des affaires étrangères français, et la suite de l’histoire……
« Ma grand-mère est arrêtée par la police française le 25 janvier 1943, le jour même elle est remise aux autorités allemandes et transférée au camp de Drancy. Le 9 février 1943 elle est déportée dans le convoi numéro 46 en direction d’Auschwitz. Elle périt étouffée dans le wagon avant même d’arriver à destination….. »
Aujourd’hui, le nom de ma grand-mère ( FLOM Tauba) est inscrit sur le « Mur des Noms » du Mémorial du Martyr Juif de Paris.
Nous ne l’oublierons jamais…….