Un hommage à Nicole Ciravegna

jeudi 29 avril 2021

Un hommage à Nicole Ciravegna

Pour que l’on n’oublie pas l’écrivaine et professeure Nicole Ciravegna (1925-2011 qui écrivit, pour la jeunesse mais pas seulement, des romans ayant pour décor Marseille et la Provence ; et pour héros les gens, grands et petits, du peuple de chez nous.

Dans les « Salons du Livre » des années 70, 80 et suivantes, à Marseille et alentour, quand Nicole Ciravegna était invitée à venir dédicacer ses œuvres, il y avait toujours du monde devant sa table, presqu’autant que devant celles d’une Marie Mauron ou d’un Yvan Audouard, qui battaient à tous les coups les records de signatures… et donc de livres vendus. Elle s’en étonnait un peu mais se l’expliquait en partie : trente huit ans de carrière (marseillaise) de professeur de français – le tiers à « Anatole-France », le reste à « Michelet » – ça vous donne des relations. Et pas n’importe lesquelles ! Beaucoup d’enseignantes – et c’était son bonheur. J’ai fait le compte, disait-elle ; j’ai eu quatre mille élèves. Et deux mille au moins sont dans l’enseignement. Peut-être un peu à cause de moi. Je suis à tout moment invitée à aller dans une école tenue par une de mes anciennes élèves. Et dans toute la France ! C’est formidable !

Nicole avouait du même coup tout ce que l’écrivain en elle leur devaient. Elle disait n’avoir eu, pour bâtir ses romans qu’à retrouver les faits et gestes de ses « petites » de la sixième à la terminale, à se rappeler leurs mots et répliques spontanés, et à y mêler les souvenirs de son enfance niçoise (dans une famille franco-italienne) et de son adolescence aubagnaise… ; en y ajoutant, tout de même, quelques solides références à l’histoire et aux traditions populaires locales, puisées aux meilleures sources de son terroir provençal.

J’ai suivi depuis ses débuts sa carrière d’auteure sans trop me soucier des distinctions entre ce qui, dans ses livres successifs, relevait de la littérature « pour la jeunesse » et de celle dite « pour les grands »*. J’ai été séduit par tous, une trentaine au total, et j’ai encore la plupart de leurs titres en mémoire : Le Sentier sous les herbes dont l’action se déroule sur le plateau de Ganagobie, Aldo et Sarah qui se situe dans le ghetto des pauvres que fut la Vieille Charité, La rue qui descend vers la mer, qui se passe au quartier du Panier ; ou Le Colchique et l’étoile, d’où furent tirés un feuilleton radiophonique diffusé sur France Inter (avec Jean Piat et Michel Duchaussoy) et une dramatique télévisée pour la « 2e chaîne couleurs » (avec Olivier Naulin et Catherine Hubeau), etc… Et, bien entendu, ses adorables aventures de Chichois : Chichois de la rue des Mauvestis, Chichois et les copains du Globe, Chichois et la rigolade, Chichois et les histoires de France, Chichois et les Troubadours, Chichois et Chichois 1er, Chichois et les quatre Louis...

Ce jeune Chichois, c’est en se rappelant son propre frère à dix ans, Jean-François dit Jeff (1), que Nicole l’imagina, pour lui faire raconter, dans un cahier rédigé à l’intention de son instituteur, M. Pardigon, les événements de sa vie quotidienne en famille et à l’école, au Panier. Il fit beaucoup pour sa renommée auprès des minots… et de leurs professeurs, au point que l’école communale de Moustiers, sa ville d’adoption, reçut en 1998 le nom de Nicole Ciravegna.

Celles et ceux pour lesquels je fus jadis le lecteur de ces livres, pourraient vous dire aujourd’hui combien ils en faisaient alors leur miel, parce que c’était drôle, tendre et intelligent et que ça leur parlait avec des mots et des expressions du pays, simplement, familièrement, avec bonheur.

J’en dirais autant de ses romans « tout public » : Les trois jours du cavalier (Prix de l’Académie de Marseille 1979, Prix des Maisons de la Presse 1980, plus 3 voix au Goncourt), une histoire d’eau sur le versant varois de la Sainte-Baume ; L’Ile blanche, autrement dit le Frioul, peuplé de marins en quarantaine ; Une nuit de Gaspard de Besse, vie et mort du célèbre brigand provençal (1757-1781) ; ou encore Le village englouti, qui évoque le noyage des Salles-du-Verdon sous les eaux d’un barrage.

Dans toute son œuvre, Nicole Ciravegna a donné mine de rien, sans prêchi-prêcha, une belle leçon de compréhension et de tolérance. Elle ne faisait cependant pas mystère de laisser humblement derrière elle un message. Son maître était Victor Hugo ; elle ne cessait d’en parler depuis qu’elle l’avait lu de A à Z entre ses huit et seize ans. On se méprend complètement, s’enrageait-elle, quand on voit en lui quelqu’un de grandiloquent. Ce qui domine chez Hugo, c’est l’amour de l’humain. Et moi, c’est ce qui m’anime !

Jacques Bonnadier


*Chez divers éditeurs : Magnard, Hachette, Bordas, Le Seuil, Editions du Quai, Autres Temps, Pocket junior, Campanile. L’ensemble de son œuvre a été couronnée du Grand Prix Littéraire de Provence en 1999.

1) Sous le nom de « Colline », Jean-François Ciravegna, fut le principal illustrateur des livres de sa sœur Nicole, en particulier de ceux de la série des « Chichois ». Il fut aussi, durant des années le dessinateur du « Provençal », toujours prêt à répondre aux sollicitations de la rédaction pour commenter de sa plume un article d’actualité. Sur quelques centimètres de papier, Colline savait promptement faire ressortir l’essentiel d’un sujet et y ajouter sa propre sensibilité faite d’humour, de tendresse et de poésie. Il donna aussi au journal, entre 1969 et 1974, une charmante mini-bande dessinée sur les aventures de deux sympathiques jeunes post-soixante-huitards, « Minette et Rafaello ». On ne pouvait évoquer le souvenir de Nicole Ciravegna sans rendre grâces à Colline !