EDOUARD CREMIEUX par ROGER KLOTZ

dimanche 14 février 2021


EDOUARD CREMIEUX 1856- 1944


Depuis la seconde moitié du XIXe siècle, les paysages de Provence ont inspiré les artistes. Si l’écrivain Frédéric Mistral et ses amis du Félibrige exaltent la poésie du terroir, les peintres ne sont pas en reste. On connait les œuvres de Paul Guigou, de Monticelli et surtout de Cézanne. C’est dans leur sillage que l’on peut sans doute situer le peintre Édouard Crémieux, l’un des maîtres de l’École provençale.


Édouard Salomon Crémieux est né sous le Second Empire au 13, Grand Rue à Marseille. Il est le fils de Saül Apollon Crémieux (Marseille, 1826 – Marseille, 1918), bijoutier, et de Léontine Jenny Alphen, son épouse, née en 1830. Nous savons, grâce aux travaux généalogiques d’Yvan Ferréol-Mayrargues que le grand-père d’Édouard, Salomon Crémieux, est né à Carpentras en 1784, à une époque où cette ville appartenait au Pape. Il ne semble pas avoir de lien de parenté avec Adolphe Crémieux.
 


Après des études au lycée Thiers de Marseille, Édouard Crémieux entre d’abord dans l’atelier du peintre Marin Guindon (1831-1918) à Marseille ; il monte ensuite à Paris, où il a pour maître durant douze années Fernand-Anne Piestre, dit Fernand Cormon (1845-1924), qui a fait ses débuts au Salon de 1868. C’est dans son atelier que Crémieux fait la connaissance du peintre marseillais Émilien Victor Barthélemy. Il entre aussi en contact avec des artistes comme Toulouse-Lautrec. Peintre alors académique, Crémieux peint des scènes sanguinaires comme Meurtre au sérail et des portraits comme celui d’Émile Loubet. Il ouvre à son tour un atelier en 1882, devient professeur à l’École des Beaux-Arts et membre de l’Académie des Beaux-Arts. Crémieux s’est donc largement formé à Paris.
 


À la demande de sa mère, il rentre cependant à Marseille, où il installe son atelier, 1, quai de Rive Neuve et épouse, le 16 août 1894, Édith, Adrienne, Sarah, Esther Padova, sœur de Robert Padova, chimiste renommé, née elle-même à Marseille en 1874. Le couple a trois enfants : Albert Ernest Moïse (Marseille, 18 mai 1895 - Marseille, 23 août 1963) ; Henri Gustave (Marseille, 19 juillet 1896 - Aubagne, 10 mai 1980) ; Gustave, Saül, Gabriel (1903-1925). On note, dans l’état-civil des enfants, l’importance des prénoms d’origine hébraïque (Moïse, Saül, Gabriel). Albert a été, au lycée Thiers, le condisciple de Marcel Pagnol, qui fut également l’ami d’Henri. Peut-être a-t-il également côtoyé un autre écrivain, Albert Cohen, qui a aussi connu Pagnol au « grand lycée » de Marseille.
 


Édouard Crémieux expose dès lors au Salon de l’Association des artistes provençaux (AAA) et au Salon rhodanien de nombreuses marines et des paysages du Midi provençal, des scènes de la vie marseillaise, quelques natures mortes aussi, hymnes à la couleur et à la lumière ; il obtient de nombreux prix. Le seul thème juif qu’il ait abordé semble être celui d’un rabbin lisant la Méguilah lors de la célébration de Pourim (Adrian M. Darmon). « C’est toujours avec rigueur, écrit Jacques Dubois, qu’[Édouard Crémieux] applique dans sa composition la recherche d’une nouvelle palette, les aplats sont subtils, la lumière domine, comment mieux montrer, en action, les couleurs jaillissantes de l’ombre, les bleu, les rouge, les jaunes… Pour Édouard Crémieux, la terre ou la mer a toujours une importance plus grande que le ciel. »
 


Touché par les statuts des Juifs d’octobre 1940 et de juin 1941, Édouard Crémieux adresse au préfet des Bouches-du-Rhône le 7 juillet 1941 la fiche de renseignements demandée par la loi sur le recensement des familles juives (2 juin 1941). À cette date, il habite au 255, rue Paradis ; il possède deux immeubles, l’un situé au 29, rue des Bons-Enfants, et l’autre au 28, rue du Musée. Il est officier de l’Instruction publique, président honoraire de l’Association des artistes provençaux. Édouard Crémieux, âgé de 88 ans, sa femme et leur fils aîné Albert sont arrêtés à Marseille le 11 avril 1944, et se trouvent le 29 avril parmi les 1004 déportés du convoi n° 72, parti de Drancy à destination d’Auschwitz. Édouard Crémieux et sa femme y sont morts à leur arrivée, le 2 mai 1944. Mais Albert, transféré d’Auschwitz à Buchenwald, reviendra et poursuivra une brillante carrière de médecin neurologue et de psychiatre. Devenu professeur à la faculté de médecine de Marseille après la guerre, il est considéré comme le père de la pédopsychiatrie. Son cadet, Henri, qui avait entamé avant la guerre une carrière d’artiste peintre et surtout de comédien au théâtre de boulevard et au cinéma, a pu, lui, se cacher. Il reprend sa carrière de comédien à la Libération. De 1930 à 1979, il tient des seconds rôles dans quelque 96 films et téléfilms avant de mourir sur scène au cours d’une cérémonie à Aubagne en l’honneur du 150e anniversaire de la naissance de Frédéric Mistral.


L’œuvre d’Édouard Crémieux, aujourd’hui très cotée, apparaît comme un hymne à Marseille et à la Provence. Les musées de Digne, Hyères, Marseille, Cassis et Castres possèdent certaines de ses toiles. Il fut, à l’instar du musicien Darius Milhaud, un « Français de Provence de religion juive ».


article paru dans "Les Archives Juives" sous la plume du regrétté Roger Klotz