UNE RESISTANTE HORS DU COMMUN : BERTY

dimanche 8 novembre 2020
par  Renée Dray-Bensousan


BERTY ALBRECHT
D’une guerre à l’autre
1893-1943


Par RENEE DRAY-BENSOUSAN


10 novembre 1945 : Paris est plongé dans l’obscurité. Cinémas, théâtres et restaurants sont fermés. Paris est vide - seuls trois longs cortèges funéraires de quinze cercueils filent vers les Invalides. Sur l’un d’entre eux, une plaque : " Berty Albrecht, résistante du mouvement Combat, 15 février 1893-31 mai 1943, Compagnon de la Libération, Médaille militaire, Croix de guerre avec palmes, médaille de la Résistance avec rosette " .
Le lendemain, Berty sera reinhumée au Mont-Valérien. 


Sa fille Mireille décrit ainsi « Ma mère mesurait un mètre cinquante, mais elle avait un regard qui vissait les gens au sol. Sa volonté était extraordinaire »


Berty Albrecht, née Berthe, Pauline, Mariette Wild, le 15/2/1893 a Marseille est la fille unique d’une famille protestante aisée de nationalité suisse. Elle connaît une enfance austère entre le lycée Montgrand qu’elle fréquente dès l’âge de cinq ans, les activités paroissiales, les leçons de chant et de piano et les discussions ouvertes avec ses parents le dimanche.
Elle fait ses études à Marseille puis à Lausanne.
En 1911, elle entreprend des études d’infirmière et obtient son diplôme d’État
Elle part alors pour Londres où elle travaille comme surveillante dans une pension de jeunes filles.
Pendant la guerre de 1914-1918, elle exerce dans un hôpital militaire et consacre même son temps libre aux blessés.


Le 18 décembre 1918, elle épouse à Rotterdam le financier Frédéric Albrecht. Elle y donne naissance à son fils Frédéric en 1920, et quatre ans plus tard à sa fille Mireille.
Peu après, la famille s’embarque pour Londres. Berthie est une femme comblée, mais elle commence à se lasser de sa vie luxueuse. On peut avant d’aller plus loin tenter de cerner cet homme qu’elle épouse et qui même après leur séparation la soutiendra sans défaillance.
Frédéric Albrecht. Allemand d’origine hollandaise, fils d’ébéniste, s’installe jeune homme en Angleterre et travaille dans la finance. Berty est la fille de l’ami de son père. En 1914, il refuse de retourner en Allemagne se battre pour un pays qui n’est plus le sien et dont il désapprouve les agissements. Pacifiste, il refuse de se battre pour l’Angleterre, il est donc emprisonné pendant toute la guerre sur l’Ile de Wight. Il réussit ensuite à devenir hollandais.
Il s’installe en Afrique du Sud après la deuxième guerre .


Une militante anti fasciste et Une féministe engagée dans les années vingt et trente


C’est à Londres au milieu des années vingt que Berty découvre les trois grandes réalités sociales qui vont l’occuper :
1) Le mouvement ouvrier. Elle sera un compagnon de route du PC dont elle partage l’image positive de l’URSS et se lance dans la lutte antifasciste.
2) Le Birth control
3) Le courant féministe c’est alors qu’elle se lie avec ceux qui vont plus tard constituer le comité de rédaction du « Problème sexuel ». Sylvia Pankhurst, directrice de l’Union sociale et politique des femmes, qui vient de créer la Fédération ouvrière, l’attire. Sylvia Pankhurst (5/5/1882 à Manchester-27/9/1960 a Adis-Abeba) es la fille de la féministe Emmeline Pankhurst. Féministe elle-même, elle était le leader des suffragettes. Elle avait rejoint le komintern. Plusieurs fois emprisonnée pour son activisme, elle vivait également suivant ses convictions, et refusa de se marier.
Berty suit les conférences, participe à des travaux. Elle entre en contact avec les animateurs du Mouvement pour la réforme sexuelle. Elle rencontre des intellectuels de gauche : Bertrand Russel, H. G. Well, Bernard Shaw.
Bertrand Russell (1872-1970) est le plus éminent philosophe britannique du XXe siècle. Il apporta des contributions décisives dans les domaines de la logique et de l’épistémologie. Ses principes éthiques, qu’il incarna à travers ses engagements politiques et ses prises de position tranchées, lui valurent deux fois la prison mais aussi le prix Nobel de littérature en 1950.
George Bernard Shaw né à Dublin le 26/7/1856 mort en Angleterre le 2/11/1950 est un critique musical et un dramaturge anglais, essayiste, scénariste, et auteur célèbre de pièces de théâtre. Irlandais acerbe et provocateur, pacifiste et anticonformiste, il obtint le prix Nobel de Littérature en 1925


En 1931, séparée de son époux Berthie s’installe à Paris avec ses enfants. Leur père continue de pourvoir à leurs besoins. Elle travaille à la Ligue des droits de l’homme, et aux Amis de l’URSS, avec Maria Braun et Maria Rebaté. Elles mettent sur pied un accueil des réfugiés antifascistes et envoie de l’aide à l’Ethiopie, à l’Espagne et aux réfugiés Juifs.
En 1933 elle fonde une revue, Le Problème sexuel, qui défend le droit des femmes à la contraception et à l’avortement contre la loi répressive de 1920. Le premier numéro propose la protection sociale de la maternité, l’institution de l’éducation sexuelle. La revue paraît jusqu’en 1935. Le Problème sexuel milite également pour l’abrogation de la loi de 1920.
Berthie Albrecht souhaite que les Françaises obtiennent le droit à la maternité consciente, en ayant la possibilité d’utiliser des méthodes anticonceptionnelles,


Qui soutient et accompagne Berty dans sa lutte pour les femmes ?
Bien évidemment son comité de rédaction que l’on peut découvrir sur le document suivant .


Victor Basch, Yvonne Netter, Magnus Hirschfeld pour en citer quelques uns.


Victor Basch est né le 18/8/1863 à Budapest et assassiné par la milice française le 10 janvier 1944 à Neyron dans l’Ain, philosophe, cofondateur et président de de la Ligue des droits de l’homme. Sur le corps de Victor Basch, sera retrouvé un écriteau laissé par les miliciens sur lequel était inscrit : « Terreur contre terreur. Le juif paie toujours. Ce juif paye de sa vie l’assassinat d’un National.. Vive la France. »


Magnus Hirschfeld
Né le 14 mai 1868 à Kolberg en Prusse –mort le 14mai 1935 à Nice. Sexologue
Fondateur du WHK, comité scientifique humanitaire. Médecin allemand qui fut le premier à étudier la sexualité sur des bases scientifiques et dans sa globalité. Il est l’un des pères fondateurs des mouvements de libération homosexuelle. Hirschfeld lutta contre la persécution des homosexuels. Juif et homosexuel, il était une cible de choix pour les nazis. Il accepte alors une série de conférences aux États-Unis en 1931 et sur la base d’avertissements de ses amis ne rentre pas en Allemagne. Il reste en exil, d’abord à Zurich puis à Ascona , Paris et enfin Nice où il décède à 65 ans. 


Yvonne Netter (1869-1985), avocate et féministe française, collaboratrice de plusieurs journaux. (Photographie d’Henri Manuel (1874-1947). Paris, Bibliothèque Marguerite Durand)


Un engagement à temps plein de Berty


Berty s’occupe du "Problème sexuel", donne des conférences soutient ses partenaires.


Son bel appartement du 5, avenue Victor-Emmanuel ( aujourd’hui Franklin Roosevelt) devient un lieu d’accueil et de débats sur les convulsions européennes. Henri Frenay y prend part en 1934 ( il était alors à l’Ecole de guerre) et il découvre " des gens qui étaient ...d’une espèce inconnue , gauche, extrême-gauche, libres penseurs, francs-maçons" ... qui lui ouvrent des portes. Henri, Saint-Cyrien lyonnais de la droite catholique et maréchaliste, de douze ans plus jeune qu’elle, sera l’amour de sa vie.
A 42 ans, en 1935, Berty, désirant que « sa vie serve à quelque chose, qu’elle serve à rendre service... », s’inscrit à l’École des surintendantes d’usine (assistantes sociales), sous la direction de Jeanne Sivadon .
Fin 1936, elle devient surintendante d’usine. En 1938, elle est affectée aux usines Barbier-Bernard et Turenne, fabrique d’instruments d’optique pour la Marine.
Après l’armistice de juin 1940, Berty Albrecht entre aux Usines Fulmen à Vierzon et profite de cette situation, dès l’été 1940, pour faire passer la ligne de démarcation à des prisonniers évadés.
Elle rédige le bulletin clandestin "Petites ailes", qui, devenu Combat, donne son nom au mouvement fondé à Marseille par son ami Henry Frenay en 1941


La Résistante 1941 -1943 


A 48 ans, elle est à la fois le bras droit du chef, son ange gardien, son sergent recruteur, sa secrétaire, sa fidèle conseillère, sa complice intellectuelle. Et son amie la plus intime, même si vivre les mêmes évènements n’implique pas de les vivre ensemble, clandestinité oblige. A cette date, envoyée en mission à Lyon, elle est chargée de l’ensemble des problèmes du chômage féminin. Frenay en congé d’armistice quitte Vichy et la rejoint. Ils vont ensemble organiser et étendre le réseau. Berthie organise le Service social clandestin de Combat dont la responsabilité pour Marseille est confiée à Lucette Montet,( Née le 6 août 1920 à Marseille (Bouches-du-Rhône), morte en novembre 1999 ; assistante sociale ; militante communiste) secondée dans cette tâche par Annie et Alice Ledoux.


Elle est arrêtée une première fois en octobre 1941 à son bureau de Villeurbanne. Elle est relâchée le soir même mais le réseau déjà trahi par un agent de liaison est démantelé. Elle est arrêtée une seconde fois et après un long interrogatoire elle est de nouveau libre.
La troisième fois, elle ne peut échapper à un internement administratif à Vals-les-Bains avec une partie de l’état-major du mouvement à la suite d’un coup de filet, elle dévore une biographie de Lafayette avant d’être transférée à la prison Saint-Joseph à Lyon ; Elle entame alors une longue grève de la faim ce qui lui vaut un transfert à la prison de Saint-Joseph de Lyon. où elle attend son jugement. Début octobre 1942 Berty est condamnée à six mois de prison . Elle simule la folie et est internée à l’asile de Bron.
La nuit de Noel 1942 les groupes francs la délivrent. Mais elle refuse de se réfugier à Londres et reprend la lutte.


Même si elle ne retrouve pas sa place dans l’organisation (dans l’armée de l’ombre, on peut écarter les absents comme au grand jour), elle plonge à nouveau dans l’activisme. Le rendez-vous de Mâcon le 28 mai 1943 est le rendez-vous de trop. Le traître Multon l’a donné. Frenay devait s’y rendre mais son réveil n’avait pas sonné… : « Berty a été sacrifiée, arrêtée à la place de Frenay » écrit sa biographe à l’issue de son enquête. La Gestapo s’est invitée à la réunion de l’hôtel de Bourgogne. Direction Fresnes.
Cette fois, elle sait qu’elle ne s’en sortira pas. Pas de cyanure.


Une mort mystérieuse
On a prétendu pendant longtemps qu’elle avait été décapitée à la hache !!!
On croit qu’elle meurt dans des circonstances non élucidées, sa fille plus récemment opte pour le suicide. Son corps découvert en 1945 à la prison de Fresne repose dans la crypte du Mont-Valérien.
" Je me suis rendu à Fresnes dans l’espoir d’y relever la trace du passage de Bertie, racontera plus tard Frenay dans ses mémoires. Le directeur de la prison m’a remis le registre du printemps 1943. Je trouve rapidement ce que je cherche : Albrecht Berthie. A chaque détenu est réservée une page entière, comportant les renseignements d’état civil et les étapes de son existence de prisonnier. Je lis " Décédée le 28 mai 1943 . Cause inconnue ..." Ce mot "inconnue" a été écrit en surcharge d’une mention portée antérieurement puis grattée. La partie grattée est plus large que le mot "inconnue" ( on y avait écrit la véritable raison de la mort. En dessous je trouve cette précieuse indication : "Inhumation cimetière de Fresne, n° 26".
L’exhumation sera faite quelques semaines plus tard en présence notamment du docteur Wolfsohn, ami de Berty et de moi-même. Il n’y avait pas eu décapitation, comme on l’avait affirmé. En revanche, le cou portait des traces évidentes de strangulation. Il est peu vraisemblable que la Gestapo l’ait étranglée . Elle avait intérêt à la conserver"
Berty reçoit à titre posthume la Croix de compagnon de la Libération, la Médaille militaire, la Croix de guerre et la Médaille de la Résistance.
A Marseille, une plaque commémorative rappelle son passage au lycée Montgrand et un square contigu à la maison de son enfance, 140, rue Sainte, lui est dédié.Il ont été tous deux inaugurés par Danièle Miterrand amie de Mireille Albrecht.


A Paris


La plaque Berty Albrecht, 16 rue de l’Université Paris 7 et l’ inauguration par Francois Miterrand le 28 octobre 1988 en présence de Jacques Chirac maire de paris, de la sculpture « hommage à Berty Albrecht » réalisée par Michele Forgeois, square du bataillon du Pacifique , Paris 12e rappellent son souvenir


Inauguration Marseille du square Berty Albrecht par Danièle Mitterrand 


Bibliographie
Gilles Perrault, Dictionnaire amoureux de la Résistance, Fayard , 2014, « Albrecht (Berty) », p. 30-34. 
Mireille Albrecht, Les oubliés de l’ombre., Ed du Rocher,‎ 2007
Mireille Albrecht, Vivre au lieu d’exister. La vie exceptionnelle de Berty Albrecht, Compagnon de la Libération., Ed du Rocher,‎ 2001


Dominique Missika, Berty Albrecht, Ed Perrin 2005.
Henry Frenay , La nuit finira, Robert Laffont, 1973.
Renée Dray-Bensousan Notice dans le dico des Marseillaises et Dans le Maitron (Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français)