Simon Laks, Mélodies d’Auschwitz et autres...

mercredi 17 avril 2019
par  Renée Dray-Bensousan

Simon Laks, Mélodies d’Auschwitz et autres écrits sur les camps, Editions CERF, coll. Histoire, 408 pages, 2018 ; correspondance de Simon Laks en appendice, Index, Glossaire, 24,00€
« Deux ans se sont écoulés depuis la Libération et, malgré toutes les enquêtes qui ont été faites, malgré la quantité de livres parus, malgré même les films tournés sur les camps de concentration, mes interlocuteurs sont toujours stupéfaits chaque fois qu’il m’arrive de parler d’Auschwitz en général, et de son activité musicale en particulier. “Comment ? disent-ils, il y avait donc une musique dans votre camp ? À quoi servait-elle ? Quel était son but ? Qu’y jouiez-vous ? Des marches funèbres ?” Bien d’autres questions encore m’ont été posées. Toutes m’ont paru naïves, mais justifiées, étant donné l’ignorance complète de la question. Or, il y avait bien une musique – Kommando Lagerkapelle – au camp d’Auschwitz, comme il y en avait une dans chaque camp allemand qui se respectait… Et cette musique, partie essentielle de l’organisation des camps, était, aussi paradoxal que cela puisse paraître, un accessoire, et non des moindres, de sa police intérieure. » Ce volume réunit les deux livres que Simon Laks écrivit sur l’orchestre d’Auschwitz-Birkenau qu’il fut amené à diriger pendant plus de deux ans. Le premier, Musiques d’un autre monde, fut publié peu après son retour en France, en 1948. Il fut écrit à deux mains, partagé avec son camarade, saxophoniste d’Auschwitz, René Khoudy. Préfacé par Georges Duhamel, il reçut à l’époque le prix Vérité, et n’a jamais été reproduit depuis. Le second, Mélodies d’Auschwitz, écrit en polonais trente ans plus tard, fut publié à Londres en 1979, avant d’être traduit en plusieurs langues. Sa version française, publiée aux Éditions du Cerf en 1991, est reprise dans le présent volume, qui contient d’autres textes inédits, dont trois essais d’Annette Becker, de Frank Harders-Wuthenow, et du propre fils de Simon Laks, André Laks.
Cet ouvrage est précieux pour tout historien de la Shoah car il montre à travers deux témoignages d’un même témoin et d’un même phénomène, écrits à quelques 30 ans d’intervalle, les variations possibles dues au temps mais aussi la fidélité à un programme de vérité.
Simon Laks est né à Varsovie en 1901. Il entre au conservatoire de cette ville à 20 ans.4 ans plus tard une de ses œuvres est jouée en public. Il rejoint ensuite Paris où il continue ses études musicales jusqu’en 1929 au Conservatoire national. Il parle à ce moment-là le polonais, le russe, le français, l’allemand et l’anglais. Il devient l’un des premiers membres de l’Association des jeunes musiciens polonais à Paris fondée à la fin de 1926, dont il s’occupe activement. Plusieurs œuvres de Laks sont inscrites au programme des concerts parisiens. En 1941, Simon Laks, qui est juif, est arrêté par les autorités allemandes puis déporté à Auschwitz en juillet 1942, dont il devient le chef d’orchestre. Le 28 octobre 1944, il est transféré Dachau. Le 29 avril 1945, le camp est libéré par l’armée américaine. Le 18 mai, il est de retour à Paris.
Dans cet ouvrage Simon Laks nous nous met face une réalité toute nue. Et pour commencer il raconte ses premiers contacts avec l’orchestre dans lequel il est admis comme saxophoniste : « Du seuil de la baraque 15, je vois une cloison étanche…A cette cloison ainsi qu’aux autres parois, de nombreux instruments de musique sont accrochés dans l’ordre de leurs dimensions. Je distingue des basses en cuivre, des trombones, des cors, des trompettes, des saxophones, des clarinettes et deux flûtes….dans un coin, une contrebasse a cordes…une grosse caisse et un matériel de batterie…..des accordéons, des boites à violons soigneusement rangés….. ». Il découvre également les femmes du camp voisin qu’il a du mal à identifier tellement elles sont maigres, dépenaillées et affamées au point de venir aux barbelés quémander du pain.
Ses descriptions de la vie ordinaire du camp sont faites dans un style détaché. Il nous permet également de saisir le rôle de la musique. Elle permet en tout premier lieu de s’évader du camp de se retrouver. Simon Laks remarque : « Nous sommes redevenus des hommes normaux pendant les courts instants que dure la musique que nous écoutons dans un recueillement religieux ». Anita Lasker-Wallfisch, une violoncelliste dans l’orchestre de femmes d’Auschwitz-Birkenau, (La Vérité en héritage : La Violoncelliste d’Auschwitz Albin Michel, 2003).ajoute
[…] malgré ma tête rasée et mon numéro tatoué sur le bras, je n’avais pas complètement perdu mon identité. […] J’étais « la violoncelliste », Je n’étais pas confondue dans la masse grise des anonymes, perdue dans la foule ».

La musique permet une certaine résistance et elle aide à la survie. Elle offre alors a ces parias quelques privilèges : se nourrir se vêtir et moins travailler. Mais le prix à payer était de passer pour collaborateur dans le système concentrationnaire. Le regard des consœurs sur les femmes de l’orchestre féminin d’Auschwitz peut en dire long sur leur ressentiment.
Dans les camps les orchestres remplissaient quatre fonctions
• Encadrement (musiques de marches pour maintenir l’ordre du camp)
• Récréations pour donner le change
• Divertissement (concerts de musique de chambre pour les gradés)
• Accompagnement des déportés au moment des départs pour le travail et au retour ; au moment des exécutions ou des sélections dans les camps d’extermination. 
À part ces orchestres, plusieurs ensembles musicaux (chœurs, ensembles de jazz, quatuors à cordes) s’étaient formés, interprétant des pièces de répertoires ou des compositions originales.
Néanmoins, ces activités posaient des problèmes éthiques aux musiciens eux-mêmes surtout après des massacres.
Primo Lévi déjà faisait remarquer l’absurdité et l’énorme farce de cette pratique : aussitôt après que la fanfare ait joué « Rosamunda une chansonnette sentimentale,[ ]voici que la fanfare attaque des marches et qu’apparaissent les bataillons de camarades qui rentraient du travail… »
Pascal Quignard aujourd’hui dans la Haine de La musique,(Gallimard, 2016, p 197). écrit « La musique est le seul de tous les arts, qui ait collaboré à l’extermination des Juifs organisée par les Allemands de 1933 à 1945. Elle est le seul art qui ait été requis comme tel par l’administration des Konzentrationlager » 
Renée Dray-Bensousan